

Groupe d'Etudes Politiques sur l'Afrique du Nord Contomporaine
Session : C-458 / L'Algérie : bilan d'une évolution chaotique
RESPONSABLES
Lise GARON, Université Laval, Québec (Canada)
Azzedine G. MANSOUR, Université Laval, Québec (Canada)
Jacques ZYLBERBERG, Université Laval, Québec (Canada)
PROBLÉMATIQUE ET ENJEUX
Depuis l'annulation du processus électoral de 1991, qui donnait la victoire au mouvement intégriste du Front Islamique du Salut (FIS), l'Algérie est entraînée dans une spirale de violence-répression d'une ampleur rarement égalée au cours de ce siècle: entre 60 000 et 100 000 morts (selon les sources) parmi les civils, classes moyennes laminées, infrastructures ravagées...
Guerre civile ? Transition démocratique ? Lutte anti-terroriste ? Quel nom donner à cette évolution chaotique ? La réponse est d'autant plus délicate que le drame algérien se déroule dans l'opacité de la scène intérieure algérienne et le silence des acteurs internationaux. Les messages brouillés qui parviennent d'Alger en provenance d'informateurs qui sont nécessairement parties prenantes au conflit, d'un côte ou d'un autre, n'aident pas à démêler le vrai du faux, le réel du virtuel et le vécu du spectacle dans le drame qui se joue devant une opinion internationale longtemps restée muette et hésitante. Celle-ci, séduite par la thèse du "terrorisme résiduel", a longtemps pu faire espérer que l'Algérie ne traversait qu'une mauvaise conjoncture, et que la normalisation en cours allait bientôt permettre de reprendre la construction d'institutions démocratiques.
Côte judiciaire pourtant, cette thèse n'a jamais collé. Après la déportation au Sahara de milliers de suspects détenus sans procès, la "normalisation" ne permet plus ni l'arrestation de suspects, ni leur comparution devant les tribunaux, ni la condamnation de coupables, sauf très exceptionnellement lorsque proclamée par des juges anonymes qui président les audiences en cagoules. Les criminels frappent la où ils veulent et quand ils le veulent, très souvent aux portes de la capitale et des grandes villes, à un jet de pierres des forces policières et militaires officiellement chargées de la sécurité des citoyens.
Bien qu'il ait ratifié les instruments internationaux de défense des droits de l'homme, l'État algérien prétend pourtant régler seul ses problèmes intérieurs, à l'abri des velléités d'"ingérence" étrangère. Face aux accusations portées de l'intérieur par la dissidence et de l'extérieur par les exilés, les grandes organisations non gouvernementales internationales (Amnesty International, Fédération Internationale des Droits de l'Homme, Reporters Sans Frontières...) pressent les États et les Nations-Unies de demander des comptes. Du point de vue du droit international, la commission d'enquête réclamée par ces organisations est-elle possible? Peut-elle avoir le primat sur les questions sacrées de la "non ingérence" et de la "souveraineté nationale"? Après les crimes nazis et ceux commis en Bosnie et au Rwanda, devrait-il y avoir un nouveau tribunal international pour juger les crimes contre l'humanité perpétrés en Algérie?
Outre les questions juridiques, les facteurs politiques, économiques, sociaux, historiques et géostratégiques qui ont permis d'en arriver là méritent d'être investigués. Se pose également le problème des dynamiques politiques: celles qui ont conduit au drame, et celles qui pourraient permettre d'en sortir.
PROGRAMME DES ACTIVITÉS
Dimanche 10 mai 1998, 15H00 à 19H00
CÉRÉMONIE D'OUVERTURE DU COLLOQUE
Musée de la civilisation (Auditorium 2), rue Dalhousie, Québec.
15H00 - Mot d'ouverture :
- "Pourquoi l'Algérie?", Jacques Zylberberg, Université Laval, Québec (Canada).
15H05 - Mot du comité organisateur :
- "Présentation du colloque", Lise Garon & Azzedine G. Mansour, Université Laval, Québec (Canada).
15H15 - Conférence inaugurale :
- "Les médias face aux droits de la personne", Robert Ménard, Reporters sans frontières, Paris.
16H15 - Allocutions :
- Bernard Dagenais, Université Laval, Québec (Canada).
- Robert Gaulin, Ligue des droits et libertés, Québec (Canada)
16H30 - Ciné-club :
- "Peur blanche" (15 mn), Amin Kaïs Siddikioui, Université Laval, Québec.
- "Les erreurs du FLN" (60 mn), Georges Amar, Le Point/SRC, 1997.
- Discussion avec les réalisateurs
19H00 - Réception de bienvenue.
Lundi 11 mai 1998, 9H30 à 12H00
CULTURE ET SOCIÉTÉ
Université Laval, Grand Salon, Pavillon Desjardins.
Présidente :
Yuki Shiose, Université de Sherbrooke, Sherbrooke (Canada)
Commentateurs :
Raymond Lemieux, Université Laval, Québec (Canada).
Laurence Filleaud, Université Laval, Québec (Canada).
Conférenciers :
09H30 - "Naissance et évolution de la société civile algérienne", Lise Garon, Université Laval, Québec (Canada).
09H50 - "Économie et politique en Algérie", Ghazi Hidouci, Revue Pôle, Paris (France).
10H10 - "Quelques clés sociologiques pour comprendre la crise algérienne", Abdenasser Djabi, Université d'Alger, Alger (Algérie).
10H30 - Pause.
10H50 - "La crise algérienne au miroir du 'vouloir vivre ensemble' : esquisse d'une alternative", Ali Haouchine, Université de Montréal, Montréal (Canada).
11H10 - "L'Algérie en toutes lettres", Véronique Bonnet, Université Laval, Québec (Canada).
11H30 - Commentaires et discussion.
13H00 - Vernissage de l'exposition documentaire : "L'Algérie en images", Université Laval, Bibliothèque générale, Pavillon Jean-Charles Bonenfant.
Lundi 11 mai 1998, 14H00 à 17H00
ÉVOLUTION D'UN SYSTÈME POLITIQUE
Université Laval, Grand Salon, Pavillon Desjardins.
Présidente :
Nicole Duplé, Université Laval, Québec (Canada).
Commentateurs :
Carol Levasseur, Université Laval, Québec (Canada)
Azzedine G. Mansour, Université Laval, Québec (Canada)
Conférenciers:
14H00 - "Culture et société en Algérie pré et post-crise 1978-1998", Mohamed Lakhdar Maougal, Université d'Alger, Alger (Algérie)
14H20 - "Algérie: échec de la construction d'une nation", Boucetta Hassan Allouche, Université du Michigan, Michigan (USA).
14H40 - "La constitution algérienne de 1996 : une avancée de la démocratie ?", Ali Hannat, Université de Montréal, Montréal (Canada)..
15H00 - Pause.
15H20 - "La gestion de l'islamisme politique : l'Algérie et l'Égypte", Hasni Abidi, Insitut Européen, Université de Genève, Genève (Suisse).
15H40 - "Étatisation-massification-dissipation de la société civile algérienne", Jacques Zylberberg, Université Laval, Québec (Canada).
16H00 - "Algérie : l'économie de guerre, un obstacle à la paix ?", Luis Martinez, CERI, Paris (France)
16H20 - Commentaires et discussion.
19H00 - Ciné-club (Université Laval, Grand Salon, Pavillon Desjardins) :
- "Quatre femmes d'Égypte" (90 mn), Tahani Rached, ONF, Ottawa (Canada)..
- Discussion avec la réalisatrice.
Mardi 12 mai 1998, 9H30 à 12H30
IMAGES D'UNE CRISE : INFORMATION ET DÉSINFORMATION
Université Laval, Grand Salon, Pavillon Desjardins.
Président :
Florian Sauvageau, Université Laval, Québec (Canada).
Commentateurs :
Jacques Dumais, journal Le Soleil, Québec (Canada).
Jean-Claude Picard, Université Laval, Québec (Canada).
Conférenciers :
09H30 - "La presse algérienne depuis 1988", Mustapha Chelfi, Journal "ALFA", Montréal (Canada).
09H50 - "L'encadrement militaire de l'information en Algérie", Robert Ménard, Reporters sans frontières, Paris (France).
10H10 - "Médias internationaux: entre propagande et voix dissidentes", Lise Garon, Université Laval, Québec (Canada).
10H30 - Pause.
10H50 - "La crise algérienne entre information et désinformation", Ghazi Hidouci, Revue Pôle, Paris (France).
11H10 - "Radio algérienne : témoignage et vécu professionnel, 1963-1995", Leïla Boutaleb, Radio algérienne, Alger (Algérie).
11H30 - "La guérilla islamiste en Algérie : entre information et propagande", Luis Martinez, CERI, Paris (France).
11H50 - Commentaires et discussion.
Mardi 12 mai 1998, 14H00 à 17H00
LE RÔLE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
Table ronde et débat sur les questions juridiques et géostratégiques
Université Laval, Grand Salon, Pavillon Desjardins.
Président :
Warren Allmand, Centre international des Droits de la Personne et du Développement démocratique, Montréal (Canada).
Introduction et problématique :
Azzedine G. Mansour, Université Laval, Québec (Canada).
Conférenciers :
14H00 - "Les droits de la personne et le drame algérien", Lucie Lemonde, Université du Québec - UQAM, Montréal (Canada)
14H20 - "La vérité par la paix", Ali Hannat, Université de Montréal, Montréal (Canada).
14H40 - "Le droit humanitaire et la question algérienne", Claude Emanuelli, Université d'Ottawa, Ottawa (Canada).
15H00 - "Guerre civile et relations internationales", Janine Krieber, Concordia University, Montréal (Canada).
15H20 - "Résolution des conflits : le cas algérien", Marcel Belleau, Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, Montréal (Canada).
15H40 - "Le devoir d'ingérence et le drame algérien", Jacques Zylberberg, Université Laval, Québec (Canada).
16H00 - Échanges et débat
17H00 - Synthèse du colloque :
- Lise Garon, Université Laval, Québec (Canada).
- Azzedine G. Mansour, Université Laval, Québec (Canada).
- Jacques Zylberberg, Université Laval, Québec (Canada).
17H15 - Réception de clôture.
19H00 - Cinéclub (Université Laval, Pavillon Desjardins, salle 2530 multimédia) :
- "Peur blanche" (15 mn), Amin Kaïs Siddikioui, Université Laval, Québec. Discussion avec le réalisateur... : "Ce film raconte les tortures perpétrées par le pouvoir algérien pendant les événements d'octobre 1988. Ce n'est pas une histoire réelle, mais une histoire inspirée de la réalité de l'Algérie... et des algériens".
20H30 - Soirée théâtrale (Université Laval, Pavillon Desjardins, salle 2530 multimédia) : En première : "Le journal d'un citoyen au-dessous de tout soupçon" (1h 15 mn), Saïd Benyoucef, Théâtre du Petit Colombier, Québec (Canada).
Du lundi 11 au vendredi 15 mai 1998
- "Semaine algérienne", Librairie universitaire du Québec métropolitain, Université Laval, Pavillon Desjardins.
- Exposition documentaire : "L'Algérie en images", Université Laval, Bibliothèque générale, Pavillon Jean Charles Bonenfant).
COMMANDITAIRES
- Faculté des Lettres - Université Laval : financement;
- AUPELF-UREF : financement;
- DIC - Université Laval : production audiovisuelle;
- Ministère des Relations internationales du Québec : financement;
- AELIES : financement;
- Ligue des droits et libertés de Québec : financement et organisation des activités;
- Fondation Léo Cormier : financement;
- Ligue des droits et libertés de Montréal : financement;
- Musée de la Civilisation : siège de la cérémonie d'ouverture et service de presse - 10 mai ;
- Service des communications de l'Université Laval : service de presse - 11 et 12 mai;
- Amin Kaïs Siddiqioui, cinéaste : présentation de ses deux films documentaires sur l'Algérie;
- Saïd Benyoucef, Théâtre du Petit Colombier : production du "One man show";
- Abdelkader Ghezali : chauffeur-benevole du colloque.
- Les familles d'orgine algérienne de Québec Métropolitain : réceptions;
- Le Rameau d'Olivier à Sillery : réceptions;
- Métro Alimentation Gérard Duboy à Sainte-Foy : réceptions;
- L'Apprêteur Saint-Vallier à Québec : réceptions;
- Le Fin Gourmet à Québec : réceptions;
- Monsieur Méchoui Traiteur à Saint-Nicolas : réceptions;
- Pastissimo Traiteur à Québec : réceptions;
- J. A. Moisan Traiteur à Québec : réceptions;
- Le Restaurant Saint-Amour : réceptions;
- Tassili Café à Sainte-Foy : réceptions;
- L'Hôtel Classique à Sainte-Foy : hébergement des conférenciers;
- L'Hôtel Holiday Inn à Sainte-Foy : hébergement des conférenciers;
- L'Hôtel Château Laurier à Québec : hébergement des conférenciers;
- L'Hôtel des Gouverneurs à Sainte-Foy : hébergement des conférenciers;
- L'Hôtel Carillon à Sainte-Foy : hébergement des conférenciers;
- L'Hôtel L'Aristocrate Best Western à Sainte-Foy : hébergement des conférenciers;
- Le Quality Hotel à Québec : hébergement des conférenciers
- Discount Location d'Auto-Camion : transports des conférenciers;
Naissance et évolution de la société civile algérienne
GARON, Lise : Université Laval, Québec (Canada).
Résumé :
Tout processus de démocratisation implique la développement d'une société civile qui échappe progressivement à la tutelle de l'appareil étatique pour acquérir la capacité de s'exprimer de façon autonome. Ce processus est fragile et constamment réversible, comme l'illustre l'exemple algérien. La société civile algérienne est récente, d'une part. Sa naissance a accompagné la décadence d'un état totalitaire et sa disparition dans les années 1980. À partir de 1992, alors qu'elle était encore en plein essor, elle a dû subir les effets traumatiques d'une alliance dangereuse entre acteurs civils et étatiques. Cette alliance, en effet, a servi à exclure de la scène publique une partie de ses acteurs politiques. Le développement de la société civile algérienne est sérieusement compromis après l'alliance dangereuse. Il reprendra néanmoins, lentement et dangereusement, sous forme de dissidence et d'opposition "modérée" (au sens d'autorisée) sur fonds de guerre civile : les perspectives pour une renaissance sont loin d'être insignifiantes.
Texte de la conférence : non disponible.
Algérie : Économie et politique
HIDOUCI, Ghazi : Revue Pôle, Paris (France)
Résumé :
L'intervention de Ghazi Hidouci sur "économie et politique en Algérie" aborde l'explication de l'évolution inversée de l'économie externe et interne en Algérie. Alors que les comptes extérieurs du pays s'améliorent considérablement sous l'effet d'une évolution extrêmement favorable des exportations d'hydrocarbures, l'économie non pétrolière connaît une régression profonde sur tous les plans. En effet, la mise en œuvre du contrat d'ajustement structurel passé avec le F.M.I. a eu deux résultats négatifs concrets. En contrepartie de la garantie de remboursement des créanciers on assiste à la disparition de toute capacité publique de détermination et de conduite de la politique économique et à la prise en main du contrôle de l'activité par une catégorie sociale bureaucratique et prédatrice. L'investissement et la production reculent, provoquant le creusement d'inégalités injustifiables et l'appauvrissement de la majorité. Dans l'organisation politique et sociale dominante, l'absence de participation, de contrôle démocratique et de stabilité, empêche d'entrevoir des possibilités de retournement de l'évolution négative présente.
Texte de la conférence :
En dépit de la persistance et de la dramatisation extrême de la violence, l'économie algérienne demeure favorablement perçue sur les marchés extérieurs. La bonne tenue des comptes extérieurs. explique pour une grande part l'optimisme ambiant. Le secteur des hydrocarbures, très efficacement protégé de la violence, connaît en effet depuis 1991 une embellie liée à son intégration accélérée aux marchés internationaux.
1. Un bilan contrasté
Les investissements étrangers dans ce secteur prennent depuis 1993 une ampleur remarquée. Les entrées annuelles de capitaux sont estimées à environ trois cent millions de $ par an ces dernières années. Ceci demeure toutefois en réalité très en deçà des besoins exprimés de financement du programme de 20 milliards de $ d'investissements d'extension et de valorisation des capacités de production de pétrole et de gaz. Ce dernier nécessite 1.4 milliard de $. par année. Il ne fait pas de doute qu'une plus grande ouverture à l'international s'impose dans le domaine pour espérer atteindre les niveaux de recettes en devises minimales de 16 milliards de $ en l'an 2000,( à un prix moyen de 18 $ le baril), indispensables pour éviter une nouvelle crise financière.
La très bonne tenue des prix du pétrole en 1996 et 1997, associée à la montée des exportations de gaz et de produits pétroliers dérivés, avait autorisé des espoirs excessifs, notamment en matière de reprise de la croissance et de solvabilité durable du pays. L'effet positif de cette conjoncture sur la gestion budgétaire a néanmoins aisément occulté, aux yeux d'observateurs non attentifs, des réalités structurelles plus amères.
Les difficultés économiques structurelles des activités agricoles et manufacturières se sont en effet aggravés. Les contraintes d'une libéralisation des échanges et du crédit menée en dépit du bon sens, depuis la mise sous conditionnalité du F.M.I de la gestion économique, se sont ajoutés aux habituels dérèglements de la gestion étatique irresponsable. C'est ainsi aussi que la production industrielle a régressé de plus de 50% en l'espace de trois ans, selon un rapport du Conseil Économique et social qui constate le tassement de la demande par rétrécissement du marché, le désinvestissement et le recul de la production. Les gains potentiels de productivité attendus des fortes dévaluations successives n'ont pas profité aux exportations ni à la production. Les acteurs économiques traditionnels ont refusé de suivre.
Dans ces conditions, les importations de biens d'équipements et de biens et de services destinés à la production ont fortement reculé. Les opérateurs économiques n'ont pu tirer de bénéfices ni de l'ouverture du commerce extérieur ni de l'aisance financière extérieure existante. Les approvisionnements de biens de consommation et d'équipements des appareils civils et militaires d'État ont par contre continué de s'accroître. La stagnation, voire la baisse à un niveau très bas(8.5 milliards de $ en 1997) des importations et le dynamisme des exportations(14.5 milliards de $ en 1997) se traduisent par l'accumulation conjoncturelle de réserves improductives de changes atteignant, avant la dernière chute des prix du pétrole, 10 mois d'importations, soit prés de 8 milliards de $.
Ce sont avant tout les intermédiaires financiers, commerciaux et dans les services qui captent les dividendes de la bonne conjoncture pétrolière, au détriment des producteurs et surtout des salariés. La soudaine généralisation des activités commerciales spéculatives dans l'immobilier et à l'importation, encouragée par des pratiques financières et fiscales non incitatives, constitue le principal résultat de la politique économique menée depuis 1994. Pendant ce temps, les ménages aux revenus fixes et les populations fragiles subissaient de plein fouet les effets d'une dévaluation de plus de 100%, assortie du blocage des salaires, de licenciements massifs et de l'accroissement du chômage. Les salariés ont vu leur pouvoir d'achat baisser de moitié, en moyenne, depuis quatre années. Cette situation est de plus aggravée par les destructions d'emplois liées aux nombreuses fermetures et aux restructurations d'entreprises publiques et privées, (plus de 300.000 entre 1995 et 1997 selon les estimations publiques).
La population inemployée se trouve ainsi de plus en plus attirée par le marché informel, qui sert de soupape sociale, et où se concentrent de plus en plus, l'exploitation de la misère, la délinquance économique et la pauvreté. En moyenne, le revenu par habitant est de 1300$ aujourd'hui, alors qu'il était de 2800, il y a à peine 10 ans. En parité de pouvoir d'achat, l'évolution est plus dramatique; cela correspond à l'équivalent de plus de 4000 $ aujourd'hui pour environ 2000 il y a 10 ans. La proportion de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté (500$ dans les conditions algériennes) serait passé à 26% en 1996, alors qu'elle n'était que de 8% en 1987. Les conséquences sociales et politiques d'une telle situation ne sauraient être négligées, en particulier dans la perspective annoncée, mais encore problématique, d'une normalisation assortie de la levée des lois d'exception.
2. Une nouvelle étape
La reprise économique, préparée par le substantiel et avantageux rééchelonnement de la dette en 1994 (16 milliards de $ en quatre ans), organisée par le programme d'ajustement dont l'efficacité ne cesse de réjouir les bureaucraties néolibérales privilégiées, en Algérie et à l'Étranger, facilitée par un accroissement des recettes pétrolières, du fait de l'effet prix de plus de 5 milliards de $ en deux ans, n'est ainsi toujours pas au rendez-vous. En 1998 les prix du pétrole baissent de nouveau d'au moins six dollars en moyenne par rapport à 1997. Cette situation nouvelle entraîne automatiquement une chute des exportations d'au moins quatre milliards de $ en année pleine. Du fait de l'accumulation passée de réserves et de l'anémie des importations, l'effet sur la balance des paiements ne sera pas insurmontable en 1998. Les problèmes se poseraient plus tard si les prix actuels venaient à se maintenir. Cependant, c'est dès cette année que les autorités auraient à faire face à d'importants arbitrages budgétaires, au déficit et par conséquent à un possible emballement monétaire, générateur de pressions sur le taux de change, d'élargissement des activités informelles et d'accélération de la fuite des capitaux.
Le gouvernement ne semble pas avoir pris conscience de cette régression, s'en tenant à affirmer mécaniquement, faute de politique économique, que l'application des médecines du F.M.I destinées plutôt à rassurer les créanciers, finirait par enclencher automatiquement la croissance. Il a, dans ce contexte de déprime, annoncé sa volonté de mener en 1998 la privatisation de 200 entreprises dans le bâtiment, l'industrie et les services, après avoir procédé à la liquidation autoritaire et opaque de plus de cent entreprises moyennes et de grandes sociétés commerciales..
3. Les fausses réformes
Après quatre années d'ajustement structurel sous surveillance des institutions internationales et plus de huit ans de tentatives avortées de modernisation, l'économie algérienne demeure ainsi marquée par l'instabilité, la fragilité et l'absence de vitalité. Les réformes structurelles annoncées, comme par exemple la mise en place des règles garantissant le fonctionnement d'une économie de marché, des privatisations transparentes, une réforme administrative et des services publics protégeant la collectivité, relèvent plus de l'illusion que de la réalité.
Ce qu'on appelle dans la vulgate des institutions internationales les réformes économiques ne sont, comme on le voit depuis quatre ans, qu'un ensemble de dispositifs autoritaires destinés à réduire la demande de masse, provoquant le blocage de l'investissement et de la croissance et appauvrissant les populations afin de maintenir une capacité suffisante de remboursement des créanciers. Dans cette entreprise non crédible de gestion économique, la construction du marché intérieur d'investissement et de production est absente. Dans la négociation entre la bureaucratie qui contrôle le pouvoir, les clientèles rentières alliées assurant la prédation et les acteurs des marchés internationaux, l'État et les institutions ne sont qu'une façade totalement instrumentalisée et la société n'a aucune place. Derrière la langue de bois d'un libéralisme formel, les pratiques de contournement des règles minimales de gestion publique sont devenues systématiques. L'arbitraire justifié par l'état d'exception, domine à tous les niveaux de décision et de contrôle, empêche de mettre un terme à la prédation et d'engager des politiques économiques qui soient susceptibles de libérer effectivement l'accumulation productive, réalisent l'efficacité sociale et politique et garantissent surtout l'équité dans le traitement des acteurs.
Les comportements irréguliers reflètent en réalité l'incapacité d'agir pour mettre un terme à la subordination des appareils d'État aux pouvoirs des rentiers et au délitement des capacités publiques de régulation et d'arbitrage. L'environnement institutionnel, juridique et macro-économique hostile devient à l'heure actuelle la contrainte principale à la faiblesse de l'épargne et de l'investissement productif. En particulier, la fraude et la recherche de privilèges exorbitants auxquelles se livrent dans des activités hautement spéculatives les entrepreneurs protégés moyennant détournements et accaparement de rentes à vil prix, sont à la source de la défiance des investisseurs préoccupés par le moyen et le long terme. Le désordre, le laxisme et la corruption qui caractérisent le système financier amplifient et confortent ces pratiques;. Il devient pratiquement impossible d'obtenir des crédits sauf à exhiber une couverture politique sûre, à payer chèrement le service ou à s'adosser à des groupes internationaux, ce qui demeure rare, compte tenu de la situation politique. Les banques, plusieurs fois restructurées, continuent néanmoins à accumuler les créances irrécouvrables et à pratiquer les emprunts fictifs couverts par les produits de la fraude, de l'évasion fiscale et des différentes techniques de blanchiment. Ainsi, de proche en proche, la privatisation et la fragmentation des administrations et des services publics dans tous les domaines, conduisent à l'anarchie dans le fonctionnement de l'économie, qui se superpose à la violence politique endémique.
Dans le secteur public, on assiste à une véritable chasse livrée aux gestionnaires, sans respect des procédures, et sur des bases le plus souvent fantaisistes. Deux à quatre mille cadres supérieurs selon les sources sont mis en examen ou enfermés au moment où bizarrement leurs entreprises sont concernées par la préparation des privatisations. Dans le secteur privé, l'arbitraire est de règle. Cette situation entraîne la fuite généralisée des responsabilités et la concentration de la prédation autour des réseaux de clientèles assurés de l'impunité. Le contrôle des transactions par ces dernières se déplace en force vers les banques et les services financiers et passe depuis peu par le détournement au travers des opérations de privatisation, supposées selon le F.M.I. participer de la transparence de l'économie, toute virtuelle, de marché.
4. Les données structurelles
. Le mode effectif de gouvernement, reflet des luttes fractionnelles, empêche d'autant plus la moindre discipline qu'il aboutit à la multiplication de centres de décision au plus haut niveau de la hiérarchie politique. Il y a une aggravation des comportements rentiers des acteurs économiques du fait des conditions inversées de mise en œuvre de l'ajustement. D'autre part, les conditions politiques d'une rupture des rapports de force dans le pouvoir en faveur de formes de compétitions productives qui puissent soutenir le changement au détriment de la gestion rentière demeurent contrariées par l'enfermement politique.
L'évolution économique demeure ce faisant le reflet des relations injustes entre une bureaucratie militaire privativement contrôlée par des réseaux de clientèles prédateurs, une société sans attributions citoyennes, marginalisée par la terreur et qui supporte le poids de l'ajustement sans contrepartie et les acteurs des marchés internationaux qui imposent leurs conditions aussi bien à l'État subordonné qu'à la société sans voix.
Il n'est pas raisonnable d'imaginer que la modernisation et l'efficacité économique puissent être obtenues dans ces conditions. Il est faux de penser que ceux qui confisquent le pouvoir et monopolisent les privilèges puissent être intéressés à cesser de spéculer et à prendre le risque de se constituer en courant social entreprenarial acceptant la sanction du droit et du marché. Cela ne correspond pas à leurs intérêts à court et moyen terme.
Si le régime venait à l'envisager par nécessité, comme il a été tenté de le faire après les révoltes d'Octobre 1988, il y a dix ans, ils savent par expérience qu'ils y perdraient à coût sûr leur pouvoir.
Ils ne peuvent que continuer à privilégier les jeux spéculatifs et faire sortir les capitaux. La perspective de privatisations encouragée dans des conditions aberrantes par les institutions internationales, constitue à cet égard une nouvelle opportunité de rapine extrêmement favorable. La continuité dans le comportement rentier et prédateur des catégories sociales associées à la défense et à la gestion du système bureaucratique totalitaire en place précipite les régressions et crée les conditions de rupture de l'équilibre favorable aux desseins occidentaux. Ceux qui auraient pu accomplir de véritables modernisations et de pérenniser les réformes vers l'économie de marché, classes moyennes productives laborieusement constituées, encore faibles et fragiles, encadrement syndical et technicien du secteur public, salariés du secteur social, liées par l'exigence de survie, sont justement marginalisés, empêchés de s'organiser et écartés du champ politique.
L'ancrage aux marchés financiers et des échanges internationaux à travers l'ajustement puis l'association à l'Europe a trouvé sa raison politique dans l'absence de marge de manœuvre d'une gestion économique orientée sur l'importation et d'une gestion politique refusant le contrôle citoyen. L'acceptation de l'état de dépendance qui en découle part de l'hypothèse que cela arrange les intérêts de la France et ceux des États Unis qui auront ainsi le souci d'apporter leur soutien contre l'ouverture démocratique. Cette analyse s'avère juste dans la pratique tant que les dérèglements ne traversent pas les frontières et que les créanciers ne sont pas mis en situation de payer le prix de la stabilité.
Les problèmes pour les protagonistes de l'équilibre précaire actuel viennent en Algérie et à l'Étranger à partir du moment où les revenus pétroliers ne suffisent plus à maintenir les conditions actuelles de redistribution des rentes liées au pétrole et à l'endettement. Il faudra alors remettre en cause un certain nombres d'intérêts et exiger de nouveaux sacrifices pour compenser les pertes. Les discriminations fatales qui s'en suivront feront alors éclater le consensus interne et externe entre les différents intérêts entraînant le fiasco de la construction institutionnelle difficilement élaborée il y a à peine un an. L'effondrement de la pyramide du pouvoir, déjà perceptible, se mettra alors en œuvre dans des conditions peut-être dramatiques, pour faire apparaître une situation politique nouvelle.
La crise algérienne au miroir du "vouloir vivre ensemble". Esquisse d'une Alternative
HAOUCHINE, Ali : Université de Montréal, Québec (Canada)
Résumé :
Après avoir écrit en lettres de sang, entre 1954 et 1962, une des plus belles pages de sa biographie - "huit millions d'hommes en imposant à 50 millions d'autres, dont 500.000 armes en bataille", après avoir osé revendiquer, non sans une certaine arrogance, l'image d'une "Prusse" du Maghreb dans les années 1970, l'Algérie des années 1990 a brusquement basculé dans le despotisme et la guerre.
Face à cet effondrement d'une grande espérance révolutionnaire et au fracas de la "guerre contre les civils" qui en résulte, la société, toute entière rétrécie à la "fracture politique" et traumatisée par l'indicible violence qui l'atteint désormais jusqu'à sa fabrique, se retrouve plongée dans un état de profonde apesanteur. Et, au "comment en est-on arrive la?" des uns, répond comme en écho le "comment allons-nous nous en sortir?" des autres.
Des manières d'en rendre compte et surtout d'en sortir, deux types de démarches ont été tentées. Une première démarche a consisté à procéder à partir de l'empirie de la crise, en insistant sur les "facteurs proches" (proximate factors), de manière à parvenir à une ébauche de solutions qui, même si fragmentaires ou "ad hoc" parce qu'envisagées dans une optique essentiellement sectorielle, pouvaient faire aboutir, par accumulation et cristallisation des effets d'entraînement et de noircissement de la matrice, à une solution plus globale à long terme. Cette approche, qui a été pratiquée sur le terrain par "le pouvoir" ou par les différentes oppositions dès les débuts de la crise, sur la base d'écrits aussi nombreux que peu féconds, n'a pas donné les résultats escomptés. Procédant à partir de " ce qui se donne immédiatement à voir " dans un champ d'expérience balisé par des actes récurrents d'atrocités, un " traitement orwelien " de l'information et un recours systématique a " l'effroi institutionnalisé ", partiels en termes de perspective parce que trop " fixés " sur la seule " lutte pour le pouvoir " appréhendée surtout à partir de son niveau " d'organisation " et beaucoup moins de son niveau " d'expression ", préoccupés par le présent ou les lendemains immédiats et donc ignorants du futur écarté comme lointain, les écrits qui relèvent de cette démarche ont, dans l'ensemble, traité le problème algérien de manière superficielle. Ce qui n'a permis, à ce jour, ni une plus grande compréhension des complexités de ce qui se trame dans la crise, ni le développement d'une alternative possible susceptible de concurrencer celle du pouvoir et des islamistes, qui donne " la parole aux seules armes " et procède de sordides " idéologies de la simplification et de la purification ".
Une seconde démarche a consisté à appréhender le problème algérien comme une " crise de société " ou de " civilisation ", à partir de toutes ses composantes, dans la trame du " temps long " (background factors), de manière à envisager des solutions globales en termes de renouvellement du " contrat social ". Les études de cette qualité, qui donnent le temps au temps afin de mieux comprendre les cheminements tortueux qui mènent à l'effondrement des " grands desseins " qui répugnent à tenir compte du sens et des signifiants, ont été beaucoup plus rares.
Mais plus indigent encore a été l'effort de réflexion préoccupé par le renouvellement du " vouloir vivre ensemble " des Algériens, pourtant seul facteur susceptible de les réconcilier avec eux-mêmes et de les installer dans un " horizon d'attente " enfin bandé vers " l'avenir ". Cet effort n'ayant encore nulle part été engagé en dépit de son urgence et de sa pertinence, nous avons décidé d'en faire l'objet de notre présentation dans le cadre de notre participation au colloque consacré à la " crise algérienne ", organisé dans le cadre du 66e congrès de l'ACFAS. Et, au coeur de notre réflexion, cette question brûlante et jamais posée du " projet de societe ", que nous envisagerons dans la perspective d'un double travail d'élucidation :
- celui d'une clarification paradigmatique de la personnalité identitaire algérienne, que nous saisirons à partir de ses trois composantes fondamentales constitutives (amazighité, arabité, islamité), mais aussi à partir des valeurs constitutives de tous ces " Algériens autres " (chrétiens, juifs, athées, animistes. Etc.) qui, même si se situant hors du champ de définition circonscrit par les composantes fondamentales, n'incarnent pas moins, avec autant de vigueur et de force, " l'être identitaire algérien ", et se revendiquent de plein droit de la " matrice commune des valeurs partagées" plus englobante de la maghrébité ;
- celui d'une clarification épistémologique du rapport qu'entretient cette personnalité identitaire avec la " modernité " (en termes de relation à l'Occident, d'ouverture au présent et au futur et non de retour au passe définitivement éculé, etc.).
À partir de ce travail de redéfinition de " l'être " algérien dans sa quête d'une nouvelle " finalité ", nous espérons pouvoir esquisser les grands traits d'une " problématique génrale des signifiants " que nous inscrivons volontairement dans la " perspective d'un devenir ", de manière à pouvoir développer les problématiques sectorielles destinées à inscrire ce devenir dans la réalité (dans le sens d'une reforme globale de l'ensemble du système politique, économique, social et culturel algérien).
Précision d'importance, l'urgence de développer une " culture civique commune " et une sphère publique citoyenne sous-tendant la conviction que la participation de tout un chacun à la détermination de ses propres conditions d'existence sera désormais garantie, dans le respect absolu des croyances et préférences de tous, doit se voir accorder une priorité toute particulière au niveau du développement des problématiques sectorielles. Car c'est la l'unique et meilleur moyen de reintroduire un niveau de confiance politique minimal nécessaire pour " réduire les distances ", " intégrer les heurts et déchirures ", " rassembler sans provoquer " et entamer l'indispensable travail de réinvention de valeurs sur lesquelles tout le consensus reste à faire.
Ce sont la, brièvement exposés, les aspects essentiels que nous comptons aborder dans le cadre de notre présentation.
Texte de la conférence : non disponible.
L'Algérie en toutes lettres
BONNET, Véronique : Université Laval, Québec (Canada)
Résumé : non disponible
Texte de la conférence :
Les médias occidentaux, et tout particulièrement les médias français, parlent abondamment du "drame algérien". Le récit des tueries, le détail des ignominies commises chaque jour s'étalent dans les colonnes de la presse, sont relatés par les journaux télévisuels et, plus rarement, sont analysés.
J'ai eu pour ma part un très fort sentiment de malaise - le mot est faible - en écoutant les témoignages d'une femme algérienne rescapée des camps du G.I.A et dont la parole, traduite par la journaliste d'El Watan, lors de l'émission d'ARTE consacrée à l'Algérie en janvier 1998, nous plongeait dans l'horreur la plus totale. D'une part, la nécessité d'écouter pour savoir exactement ce qui se passe en Algérie - le devoir d'écoute (1) -, d'autre part, de lourdes questions d'ordre éthique qui ont déjà été soulevées par Véronique Nahoum Grappe à propos de l'épuration ethnique en Bosnie-Herzégovine. Cette dernière signalait que les récits des tortures, des sévices sexuels en l'occurrence, peuvent parfois, dans des cas extrêmes, nourrir d'obscurs fantasmes et, en ultime instance, aboutir à un effet diamétralement opposé à celui qui était visé: l'information. Le fait qu'Amnesty International n'ait pu rencontrer cette femme seule, c'est-à-dire sans les officiels algériens qui l'accompagnaient, amène aussi à se poser quelques questions sur la médiatisation de l'horreur. Témoigner de l'ignominie ne peut être véritablement utile que dans un cadre d'un tribunal où chacun serait assuré que les criminels et leurs complices actifs ou passifs soient jugés et condamnés. La sympathie - au sens étymologique du terme - des spectateurs, quelle que soit sa force, reste dramatiquement vaine.
En d'autres termes, il s'agit d'entendre ce qui se passe en Algérie mais de tout entendre: pour ne pas réduire l'Algérie à une masse sanguinolente, engluée dans une spirale de l'horreur, un pays où la violence semble simple maléfice historique, culturel, ethnique ou religieux. Je renvoie à ce sujet à l'analyse de Lucile Schmid parue dans la revue Esprit en février 1998. L'auteur souligne les ambiguïtés des médias français, la dualité des images diffusée par la télévision: "l'image de la société algérienne hésite entre le visage du martyr et celui du milicien, entre le corps de l'enfant mutilé et la cagoule du ninja, entre le terroriste assoiffé de sang et la femme violée" (2). Pour ce qui est de la presse écrite, il y a aujourd'hui surenchère verbale dans le discours sur l'Algérie: accumuler des termes désignant la violence sur un mode toujours extrêmement emphatique ne clarifie aucunement la situation algérienne (3). Semblable réflexion peut s'appliquer à la couverture du magazine québécois L'Actualité du 15 mars 1998. Sous le titre : "Algérie, Le pays devenu fou", figure cette légende : "Rejetés par le peuple, les fous d'Allah ont disjoncté. Leur guerre sainte dégénère en attentats mafieux. Notre reporter est allé sur place pour tenter de comprendre le degré zéro de la barbarie." Outre le verbe "disjoncter", puisé dans un registre familier qui s'accorde mal à la gravité de la situation, force est de noter la confusion dans le champ lexical du religieux, lequel croise celui de la mafia dans une logique confuse de glissement sémantique qui associe tout naturellement Algérie et barbarie.
Nous savons tous que l'on massacre en Algérie. Nous savons que pour la deuxième fois dans l'histoire de ce pays se déroule une guerre qui, pour la seconde fois aussi, tait son nom (4). De très nombreuses questions demeurent : que faire pour que cesse l'horreur ? Comment parler de l'Algérie ? Quels mots utiliser pour parler des maux de ce pays ? Que faire aussi pour que les populations des pays occidentaux, et tout particulièrement les Français mais ils ne sont pas les seuls, n'alimentent pas des fantasmes d'exclusion, de xénophobie et de racisme grâce aux récits de l'horreur algérienne ? Car le risque est là et il est grand. En France, la guerre d'Algérie que l'on avait alors euphémisée sous le nom "d'événements d'Algérie" a laissé une blessure béante entre les Algériens et les Français, or les uns et les autres ont non seulement une histoire commune mais aussi, pour certains, une double appartenance souvent problématique. Refoulée, la mémoire vaine ne cesse de refaire surface. Nombre Algériens n'ont pas pardonné à la France, voire même à tous les Français, d'avoir mené huit ans de guerre après avoir appliqué dès 1830, un système d'inégalité juridique et politique renforcé, en 1881, par le code de l'Indigénat, puis répliqué aux émeutes de Sétif par une répression qui fit plusieurs milliers de morts. La France ne leur a jamais demandé pardon. Dès l'indépendance, s'est progressivement construite une Algérie niant la pluralité et le pluralisme démocratique : un pays du "chezNous", en un seul mot, ainsi que l'écrit le romancier Nabile Farès (5)où le nationalisme a toujours été l'acteur central de la politique. Côté français, nombre de sexagénaires ont passé leur jeunesse dans le Djebel, dans la Mitidja. Cette guerre innomée dont il n'ont jamais vraiment pu parler parce que personne, en France, ne voulait les écouter leur a légué une haine souvent tenace envers le peuple algérien, haine alimentée par un racisme français qui s'est progressivement institutionnalisé avec la légitimation du Front National sur la scène électorale. Le parti de la haine ayant, depuis plus d'une décennie, reçu en France le succès que l'on sait. Les Européens d'Algérie, les rapatriés, dans toute l'ambiguïté de cette terminologie, conservent le sentiment d'avoir été chassés. L'Algérie reste leur terre maternelle et les Algériens des frères ennemis. Dans ce contexte, se développe ce que Benjamin Stora nomme "une mémoire de revanche" (6). Mais souvenons-nous que parmi ceux que l'on a nommé les rapatriés d'Algérie, certains, qui souvent étaient fils d'Espagnols, de Maltais ou d'Italiens, connaissaient mal ou parfois pas du tout la France (7). La mère de Camus, par exemple, dont l'écrivain nous dit :
"Elle savait seulement qu'elle vivait sur de la terre près de la mer, que la France était de l'autre côté de cette mer qu'elle non plus n'avait jamais parcourue, la France étant d'ailleurs un lieu obscur perdu dans une nuit indécise où l'on abordait par un port appelé Marseille qu'elle imaginait comme le port d'Alger, où brillait une ville qu'on disait très belle et qui s'appelait Paris, où enfin se trouvait une région appelée l'Alsace dont venaient les parents de son mari qui avaient fui, il y avait longtemps de cela, devant des ennemis appelés Allemands pour s'installer en Algérie [...] C'était là, avec l'Espagne qu'elle ne pouvait situer mais qui, en tout cas, n'était pas loin, dont ses parents, Mahonnais, étaient partis il y avait aussi longtemps que les parents de son mari pour venir en Algérie parce qu'ils crevaient de faim à Mahon dont elle ne savait même pas que c'était une île puisqu'elle n'en avait jamais vue." (8)
Ce retour sur un passé que, de par et d'autre, l'on a jamais vraiment voulu comprendre pour le solder est nécessaire. Cette nouvelle guerre ravive les ruptures anciennes, alimente, de par et d'autre, la haine, l'essentialisation de l'identité, met en péril la possibilité de vivre ensemble, en France et en Algérie. Dès lors, comment informer, comment échapper aux manipulations alors qu'il est si difficile de se rendre sur le terrain ? Comment faire entendre les voix des citoyens ordinaires, comment consolider les ponts qui n'ont pas été détruits ?
Prenant acte d'une sorte d'aporie à laquelle sont confrontés les journalistes, le journal Le Monde a choisi de collecter et de publier des lettres envoyées par des Algériens à leurs proches, familles et amis résidant en France (9). Philippe Bernard et Nathaniel Herzberg, les responsables de ce projet, ont réuni une centaine de missives et opéré des choix et des coupures - toutes répertoriées et plus ou moins nombreuses selon les cas - permettant de préserver l'anonymat de leurs auteurs et de leurs destinataires afin d'éviter les risques de représailles et afin de garantir la vie privée des gens. Ces lettres couvrent une période assez récente puisqu'elles furent écrites entre novembre 93 et décembre 97; rappelons qu'elles n'étaient pas destinées à publication, gage important de leur crédibilité. Publiées en novembre 1997, elles viennent de paraître sous forme de livre chez Gallimard (10). Rédigées en français, elles ne forment certes pas un échantillon représentatif de la population; elles n'ont pas valeur purement scientifique, mais toutes ont une indéniable valeur de témoignage humain. Je souhaiterais vous présenter ces lettres, vous faire entendre ce qu'elles ont à nous dire et tenter d'en ébaucher l'analyse.
Le corpus est constitué d'un total de 57 lettres; certaines sont très courtes. Nous avons quatre correspondances suivies, 13 lettres écrites par huit femmes différentes à la même personne, et enfin cinq lettres écrites par cinq personnes distinctes à cinq destinataires. Les épistoliers des correspondances suivies sont trois femmes et un homme. Dans l'ensemble, les femmes sont majoritaires : 12 épistolières et 5 épistoliers. L'éventail des catégories socio-professionnelles et des âges est assez large: Fatiha et Naïma sont professeurs de français, Mourad, petit fonctionnaire à la retraite, Latifa est coiffeuse, Kader est ouvrier, Mohamed est présenté comme intellectuel et Toufik, lycéen. Louise, Yvette, Marie, Annie, Édith, Véronique et Rose sont des dames retraitées, des Françaises mariées à des Algériens ou des Algériennes mariés à des Français. Plusieurs épistoliers entretiennent une correspondance avec leur famille qui vit en France: travailleurs immigrés, citoyens français ou époux exilé à la suite de menaces de mort. D'autres avec leurs amis: Algériens exilés ou Français qui connaissent bien l'Algérie, comme Jean, le correspondant de Mourad, ancien porteur de valises pendant la guerre de Libération. Les dames retraitées écrivent à une amie commune, Catherine, qui a quitté l'Algérie en 1994, après avoir passé vingt-sept ans dans le pays de son mari algérien.
Écrire d'Algérie n'est en soi pas une tâche aisée. La plupart des épistoliers mentionnent fréquemment des difficultés de communication liées au dysfonctionnement de la poste. Certaines lettres ne parviennent pas à leur destinataire ou arrivent avec un retard considérable: Marie signale qu'elle a reçu en janvier 1996 une lettre de Fête des mères postée de France en juin 1995. Fatiha dit envoyer une lettre en courrier recommandé. La correspondance entre Mourad et Jean, deux anciens militants politiques, est à cet égard particulièrement révélatrice. La colère perce dans chacune des lettres de Mourad : " Encore une lettre sans signature. Ça déborde de courage. Pour la simple raison que les salauds sont au tri postal et dans beaucoup de bureaux de poste" (p. 34). La violation du courrier est également dénoncée: "Ta lettre [...] a mis un mois pour me parvenir scotchée", écrit-il en septembre 1995 (p. 37). Puis, en septembre 1997, Mourad écrit une lettre dactylographiée, il ne la poste pas mais la confie à un ami qui part à Paris. Ainsi, dans la correspondance de cet ancien militant du FLN, s'efface progressivement toutes marques permettant d'identifier l'épistolier: signature ou écriture. Le sujet disparaît, toute comme doit aussi disparaître l'origine française de Marie qui demande à son amie de ne pas mentionner son prénom français lorsqu'elle lui écrit. Algérie de la disparition, de l'effacement des traces.
Certaines épistoliers interrogent l'acte d'écrire "face à l'extrême", pour reprendre le titre d'un ouvrage de Tzvedan Todorov. Il s'agit d'échapper au danger de sa propre mutité, d'une auto-censure imposée par la fierté, par la pudeur :
"J'ai maintes fois entrepris de vous écrire. Pensé aussi, sans mettre sur papier, à ce que j'avais envie de vous dire, comme une délivrance. Mais il y avait tant de réticences ! Comment et pourquoi vous raconter ce que nous sommes en train de vivre ? Vous encombrer de mots, de phrases qui font mal, rien qu'à les dire ? Il m'est difficile de vous en parler: un reste de fierté ? Ce que nous appelons ici le "NIF" (littéralement, le nez, symbole de l'orgueil chez nous, allez savoir pourquoi [...] J'hésite encore à vous envoyer cette lettre. Et si je le fais, c'est que le besoin d'être entendue aura été le plus fort, plus fort que cette petite voix qui me dit : à quoi bon ?" (p. 8)
Fatiha dit qu'elle a déchiré de nombreuses lettres; elle est sensible aux apories du langage, elle sait que sa parole se situe dans une zone où elle voisine sans cesse avec l'indicible: "Je ne crois pas que je pourrai un jour tout te raconter..." Mourad écrit, en octobre 1994: "J'ai longtemps hésité pour écrire [cette lettre]. Te raconter notre merde, c'est tout ce que je sais" (p. 35).
Parler à un ami, à son mari exilé, c'est bien souvent lui témoigner, dès l'incipit de la lettre, son affection. Chacun a son propre style qui en dit long sur la force et la nature de la relation: Mourad appelle généralement Jean "Vieux frère", il parle dans une langue de solidarité politique. Latifa introduit ses lettres par un "chère famille". Naïma parle dans la langue des femmes, une langue débordante d'amour: "Lumière douce !" , "Ma chère Naziha". Faliha appelle Monique "mon amie de l'autre côté de la mer" (p.19). Elle témoigne, avec force, d'une amitié féminine: amitié franco-algérienne qui résiste aux brouillards de l'Histoire. Elle s'interroge, douloureusement, lucidement, sur son rapport avec sa propre généalogie féminine: "De qui suis-je la plus proche? D'elles ou de toi, mon amie de l'autre côté de la mer, toi qui m'écoutes, qui essaies de comprendre de toute la force de ton amitié ?" (p.19). Les lettres venues de France sont toujours reçues avec émotion. Nombre d'épistoliers avouent qu'elles leur permettent de continuer à espérer. Latifa se réjouit de la réussite de ses frères : l'un a fait publié son premier livre, l'autre part pour le Canada. A travers ces missives, s'esquisse ce que nous croître un peu partout dans le monde: la diaspora algérienne.
Que dire de l'Algérie ? Au-delà des larmes et du sang, c'est une image d'un pays à visage humain que décrivent certaines lettres qui amène aussi à remettre en question les images diffusées par la télévision française:
"Surtout [écrit Yamina à son mari], ne te laisse pas engluer dans la boue méprisante qu'ils [...] essaient de déverser sur nous. Malgré le sang et les bombes, notre peuple n'est pas cette masse grouillante et informe qu'ils présentent. Pourquoi ont-ils l'air de patauger dans la boue quand ils parlent de nous ? Pourquoi ce traitement que subit notre malheureux pays ? Que j'aimerais leur montrer l'intense amitié dans laquelle on baigne, le courage ordinaire de ces gens rugueux et fraternels, l'odeur du jasmin et du chèvrefeuille un soir d'été." (p. 104)
Cette lettre est écrite durant l'automne 97, au lendemain des massacres de Raïs, de Beni Messous, de Ghelb-El-Kebir et de Bentalha. C'est souvent une Algérie digne qui est écrite et décrite, un pays où les enseignants continuent à enseigner, à se rendre quotidiennement au travail. Fatiha et Naïma créent, à l'intérieur de leurs cours, des espaces de paroles, des îlots où la langue française et la littérature en général permettent une certaine liberté d'expression, une remise en question des stéréotypes meurtriers. Leur activité quotidienne et leur engagement pédagogique consistent à donner la parole aux élèves, à briser les ostracismes: "Ce qu'est pour eux le cours de français, ils me le disent chaque jour, en arabe le plus souvent: un moment "autre", où ils vont à la découverte, bien difficilement souvent, d'un monde différent mais très proche [...] eux qui refusaient, il n'y a pas si longtemps, de parler français" (p.11-12). Même chose pour Naïma qui constate toutefois l'ambivalence de ses élèves, lesquels, lorsqu'ils apprennent l'assassinat d'un homme de confession judaïque, succombent à l'émotion puis, le lendemain, se ravisent : "C'était un juif, et pourquoi qu'il est resté là, hein ? C'est louche. Y avait d'autres pays où il aurait été heureux." "Il faudra tout recommencer", commente l'enseignante (p. 64-65).
Les questions politiques sont présentes. L'élection de Liamine Zeroual, le 16 novembre 1995, est perçue différemment par Mourad et Naïma. Le premier y voit un signe d'espoir tout en étant toutefois absolument pessimiste quant à un éventuel État de droit: "Il faudrait le "cataclysme" d'une autre génération pour ôter la chape de plomb de toutes les trahisons" affirme-t-il (p. 39). Naïma choisit quant à elle la dérision et l'humour, "politesse du désespoir": "Tous sont soulagés: faut être du côté du plus fort, point à la ligne. Nous avons taquiné ma mère: "Tu ne vas plus à la mosquée ? - C'est fini, la mode est passée" Que dis-tu de cette réponse ?" (p. 84)
La plupart des lettres évoquent la cherté de la vie, les prix des aliments qui augmentent de façon vertigineuse. Mourad parle de "terrorisme du F.M.I" (p. 36), signale des injustices de plus en plus flagrantes. Latifa mentionne que la viande coûte quatre cents dinars. Les questions économiques sont extrêmement présentes. Les plus vulnérables sont, entre autres, les vieilles dames algéro-françaises qui voient leur faible niveau de vie décroître sans cesse. Algérie de la survie.
La mort s'immisce dans la plupart des lettres. En Algérie, l'écriture et la mort forment, selon les termes d'Assia Djebar, "un accouplement", une "monture noire" (11). C'est la mort d'êtres proches dont personne ne parvient à faire le deuil. Car faire le deuil d'un disparu implique, en ultime instance, d'accepter, de domestiquer et de dompter la mort, ce qui est littéralement impossible tant que les criminels ne sont pas capturés et jugés. Mourad est à cet égard très explicite : "Il faut bien qu'un jour ou l'autre, les responsables actifs ou passifs de ce génocide passent devant un tribunal" (p. 46). Dans texte daté du 1° septembre 1995, il s'interroge: "[...] qui sont les commanditaires ???" (p. 38).
Figurent peu de détails sur les ignominies commises, celles-là même que nous lisons dans la presse: peut-être par réflexe de pudeur ou tout simplement parce que les mots manquent. C'est souvent une mort à l'arme blanche qui est évoquée: elle a pour nom égorgement. Le verbe "égorger" et ses dérivés sont omniprésents dans les lettres de Mourad, au total douze occurrences. L'identité des meurtriers, sujet sensible s'il en est, est évoquée différemment par Mourad et Fatiha, au lendemain des massacres de Raïs:
Mourad :
"Vu le nombre des victimes, les assassins doivent être une "armée" et non des groupuscules. Égorger cent personnes, ce n'est pas une mince affaire ! J'étais une fois dans un abattoir, j'ai vu comment on égorgeait les moutons à la chaîne. Pour en arriver là, c'était tout un cirque... Pour le bœuf et le cheval, c'est le cirque des cirques. Et des humains ! [...]" (p. 43).
Fatiha :
"Difficile aussi de résister à la colère quand j'entends autour de moi (à la télévision et dans les journaux) des gens se demander encore "Qui tue ?". Nous savons, nous, ici, qui tue et nous n'avons pas l'indécence de le demander aux survivants" (p. 31)
Je précise que le mot "armée", dans la lettre de Mourad, est démarqué par des guillemets, quant à Fatiha, elle dit savoir qui tue mais ne cite pas l'identité présumée des meurtriers. Mohamed, un intellectuel algérois analyse ainsi la situation: "L'Algérie est devenue un laboratoire d'expérimentation des comportements humains" (p. 110). Tous les épistoliers luttent pour ne pas succomber à l'indifférence, à la déshumanisation. Ils tentent aussi de se protéger contre l'horreur qui s'installe dans chaque interstice du quotidien. Naïma livre ce témoignage saisissant: "[...] je n'achète plus les journaux. Surtout que je travaille beaucoup avec les journaux dans la cuisine. Comment éplucher les carottes ou nettoyer les sardines sur les articles de copains assassinés ? Alors, je pleurais et ne savais plus quoi faire. C'est de la folie. Dis-moi, mon amie, comment savoir quand on déraille?" (p.76).
Certains veulent fuir, le plus vite possible et par tous les moyens. Latifa écrit à sa famille: "Vous savez que j'attends un enfant. Je voudrais bien partir avant sa naissance. C'est mon souhait le plus cher." Elle ajoute : "Vous, vous avez la belle vie. Que Dieu vous garde. Essayez de nous délivrer en m'établissant un visa, pour l'amour de Dieu ! Vous m'excuserez pour tous ces problèmes que je viens de vous dire." (p. 58). Même désir d'obtenir un visa pour Fatiha qui souhaiterait retourner en France pour participer à un stage pédagogique. Sa première demande est refusée en 1996, la seconde reste sans réponse. A contrario, les trabendistes semblent, eux, pouvoir obtenir des visas. Nous savons tous aussi que des Algériens menacés de mort ont été assassinés faute d'avoir reçu, à temps, leur visa. La responsabilité incombe principalement à la France mais aussi à d'autres pays occidentaux: combien d'Algériens de la diaspora réclament aujourd'hui des visas pour leur famille, combien les obtiennent ? Quelles sont les vraies raisons de cette complicité passive, de ce silence assourdissant des pays occidentaux face aux Algériens ?
Les lettres des dames d'Algérie dévoilent, sans aucune analyse politique, mais avec une réelle authenticité, le rapport difficile avec les consulats français en Algérie. Rappelons que le 24 août 1994, le Quai d'Orsay annonce que la délivrance des visas ne sera plus inscrite à partir de l'Algérie mais de la France, par un service centralisé mis en place à Nantes. Par ailleurs, le gouvernement annonce qu'il souhaite rapatrier les ressortissants français. Dans une lettre du 12 septembre 1994, Louise signale que le consulat de France est fermé: "Des centaines de personnes attendent. Quoi ? Je l'ignore, puisque, pour les visas, ils disent qu'ils faut écrire en France. Il n'y a personne pour nous renseigner." (p. 88) La situation des couples franco-algériens - il s'agit en l'occurrence de couples très âgés aux revenus modestes - est digne d'un roman de Kafka. Les conjoints algériens ne peuvent obtenir de visas: "Il devraient être humains et comprendre que l'on a des problèmes avec nos maris" dit Louise (p. 89). Puis, en juin 1996: "On a refusé le visa à mon mari. Deux lettres, deux refus" (p. 98). Tous les documents officiels avaient pourtant été fournis, y compris la concession au cimetière de Toulouse. A plusieurs reprises, les consulats ne reçoivent plus personne, y compris leurs ressortissants: "J'aimerais rentrer en France. Comment dois-je procéder ? Ici, au consulat, on ne nous reçoit pas" (p. 90). Face à la mort, même absence: Claudette, une vieille femme, meurt d'un cancer généralisé, Rose commente: "J'étais seule à son enterrement avec M.C. J'ai couru à la morgue de l'hôpital, à la morgue du cimetière français. Ensuite au cimetière d'El-Alia, toujours seule avec M.C. Personne au consulat ne s'est dérangé. On meurt et on nous jette comme de chiens" (p. 96). Ces dames ne demandent pas l'impossible. L'une d'elle se réjouit à l'idée d'un repas organisé au consulat : "Cela nous changera les idées" dit-elle. Après l'assassinat de deux Français à Alger, le repas est annulé. Par ailleurs, les structures d'accueil, en France, sont particulièrement déficitaires. Le second exode des Français d'Algérie semble parfois plus tragique que le premier. Aujourd'hui, certaines femmes attendent encore des visas pour leurs maris, certaines sont mortes de vieillesse, et d'indifférence.
Que reste-t-il de l'Algérie, de celle que l'on a rêvé ouverte, fraternelle, plurielle ? Les mêmes fantômes font retour. Il ne reste peut-être que des traces présentes dans toutes les lettres, dans cette relation de solidarité entre des hommes anciens combattants de l'Indépendance, d'affection et de complicité intellectuelle entre deux professeurs. Les traces s'impriment dans des mots très simples qui présentifient le destinataire et le transporte sur la terre d'Algérie, prêt de l'olivier qu'il a planté. Aucune lettre n'est monologue, la présence du destinataire, par le biais de très nombreux pronoms personnels, abolit la distance entre le "ici" et le "là-bas". Il reste des rires, de l'humour, toute une géométrie de l'intime: un repas de Pâques avec "charcuterie, crevettes, beaujolais, fromage et un bel œuf de Pâques" (p. 99), l'espoir d'un voyage à La Mecque pour prier pour la Paix ou les fêtes de mariage "comme preuve d'une indéracinable envie de bonheur". Il reste des jeunes filles qui continuent à se maquiller, des femmes qui persistent à rire, à faire des enfants. Il reste l'écriture pour reconstruire un monde sur le mode du conditionnel, comme le dit Fatiha.
Enfin, il me paraît important de noter la grande qualité littéraire de nombreuses lettres tout autant que le caractère obstinée de l'écriture "tremblante", nous disent les journalistes du Monde, des courtes missives rédigées par les vieilles dames, l'une d'elle priant sa destinataire de ne pas "être trop sévère avec les fautes d'orthographe" (p. 91).
La littérature n'est pas seulement ce qui était destiné à publication, je renvoie à ce sujet aux analyses de Marc Angenot dans la revue Paragraphes. L'objet littérature est plus vaste que "ce qu'une société en un moment donné a canonisé sous ce nom" (12) et ensuite, en fonction de critères écrits nul part, répertorié dans les manuels scolaires, dans les anthologies (13). L'objet littérature est encore moins ce qui est rattaché, unilatéralement, à un seul ensemble: la littérature nationale ou pire la littérature nationaliste: territoire de l'homogène et, souvent, de la claustrophobie et du rejet. C'est dans ce cadre-là qu'il me semble pertinent de situer ces "lettres d'Algérie" lesquelles, bien sûr, relèvent d'une construction: j'évoque les choix opérés et, peut-être aussi, les coupures effectuées, très nombreuses par exemple dans le cas de la correspondance de Mourad, j'en ai relevées 28. Toutes ne répondent sans doute pas à la seule nécessité de protéger cet épistolier très engagé d'une possible répression, mais aussi d'un choix conscient probablement guidé par la prudence aujourd'hui de mise concernant les analyses à faire de la situation algérienne.
Ainsi, je voudrais attirer votre attention sur une chose: ce recueil de lettres publiées par Le Monde résulte d'une élaboration consciente, comme est construction tout recueil et a fortiori tout ensemble de textes hétérogènes réuni par une tierce personne: théoricien de la littérature, historien ou journaliste. En bout de course, la réception de ces lettres - en l'occurrence la mienne et, par l'intermédiaire de votre écoute et de votre lecture, la vôtre - parachève la construction. Les deux journalistes du Monde nous ont transmis une image complexe et hétérogène de l'Algérie. En dépit de la diversité des épistoliers, certains en sont exclus. Il n'y a pas, par exemple, d'épistolier qui soit membre du pouvoir, ni islamiste même modéré. Les femmes sont majoritaires, comme je l'ai précisé précédemment. Cette constatation appelle au moins deux réflexions: ce sont généralement les femmes lettrées qui entretiennent le plus souvent une relation épistolaire. Pour les femmes algériennes, l'écriture est conquête. Mais cette sur-représentation des femmes ne vise-t-elle pas aussi à satisfaire un certain horizon d'attente de la société française, laquelle est particulièrement sensible à la situation des femmes algériennes pour des raisons aisément compréhensibles. Toutefois, le sort fait aux femmes ne doit pas occulter la répression envers les hommes, lesquels ont aussi payé un lourd tribu. Il y a peut-être risque d'un humanisme sélectif. Les souffrances algériennes transcendent les questions d'appartenance sexuelle, ethnique, religieuse et linguistique.
Par ailleurs, tous et toutes écrivent en français et sont, ipso facto, francophones, ce qui signifie un certain niveau d'instruction mais aussi peut-être, en soi, une certaine orientation, voire une certaine exclusion. Benjamin Stora rappelle que la scolarisation en langue arabe a exclu du marché du travail nombre de jeunes gens arabophones unilingues, lesquels se heurtaient aux francophones qui obtenaient plus facilement du travail. Le mouvement islamiste qui se développe dans les années quatre-vingt est nourri par l'amertume de ces intellectuels dont le statut n'est pas reconnu (14). Il serait souhaitable d'avoir accès à la parole de ceux qui écrivent en arabe, il importe de se souvenir que le tamazigh est aussi la langue maternelle de nombreux Algériens.
Je reviens brièvement à la pluralité vocale et au fait de donner la parole, dans ce livre, à de vieilles dames françaises, donc, en termes purement sociologiques, d'illustrer un tout petit échantillon de l'actuelle population d'Algérie. En 1995, Stora rappelle que seuls quelques centaines de Français sont encore présents en Algérie et que vingt mille personnes sont de double nationalité (15), chiffres qui, depuis, n'ont cessé de décroître. Ces dames franco-algériennes sont le témoignage ténu de ce qui perdure aujourd'hui d'une Algérie plurielle. Elles sont la double proie d'une certaine Algérie qui persiste à assimiler les Français, les juifs ou les descendants de ceux que l'on a nommé de façon tellement méprisante les Harkis au mal absolu et d'une certaine France, celle de certains fonctionnaires consulaires par exemple, celle des gouvernants en général, qui sait faire preuve d'un mépris flagrant envers tous, dès lors qu'il s'agit de l'Algérie. C'est à ce constat pour le moins douloureux que me conduit mon analyse. L'image que reflètent ces lettres d'Algérie contribue à briser des ostracismes. Celle que j'ai voulu vous présenter tente d'aller dans le même sens. Je n'ai pas la prétention d'être la voix de ceux qui n'ont pas de voix car les Algériens et les Algériennes ont des voix et nous sommes sommés de les entendre. Mais ces voix algériennes passent à travers ma propre voix et ma propre histoire: l'histoire de la génération née après la guerre d'Algérie dont Benjamin Stora nous dit qu'elle souffre d'une "transmission manquée". Il serait souhaitable qu'elle brise les silences d'une histoire amnésique, qu'elle recolle les morceaux d'une mémoire trouée "pour aborder sereinement l'avenir" (16). Un avenir commun.
Sur les deux rives de la Méditerranée, nous avons souvent échoué à construire des espaces culturels mixtes. Ceux qui existent sont fragiles. Nous avons cependant un patrimoine commun. De grands écrivains ont vécu sur les deux bords : Albert Camus, Mouloud Ferraoun, Kateb Yacine, Jean Sénac, Taos Amrouche, Mohamed Dibb, Tahar Djaout, Jean Pélégri, Leïla Sebbar, Rachid Mimouni, Rachid Boudjedra, Assia Djebar et tant d'autres. Leurs mots n'ont jamais cessé de reconstruire les ponts brisés, de donner forme aux blessures et aux espoirs. Permettez-moi d'inscrire ces Lettres d'Algérie, écritures de l'intime où la petite histoire croise l'Histoire avec sa grande hache (Georges Perec) dans le prolongement d'un dialogue difficile mais ininterrompu. Ce dialogue n'est pas simple histoire de famille algéro-française, avec ses refoulements mortels et ses belles déclarations d'amour. Nous le nous poursuivons ici, au Québec, dans l'urgence qui est nôtre, qui nous concerne tous, indépendamment de nos origines, de notre nationalité, du lieu où nous vivons: l'urgence d'entendre les voix d'Algérie, de tout faire pour que cesse la guerre et que se mette en place une démocratie digne de ce nom. La question d'une commission d'enquête internationale se pose aujourd'hui. Ayons le courage de l'aborder. Ayons le courage de réclamer que soit brisé le silence et la lâcheté des gouvernements occidentaux qui font le jeu des deux camps algériens responsables, activement et passivement, du massacre d'un peuple. C'est une question d'engagement liée à la dignité et à l'honneur de chacun d'entre nous. C'est une question de citoyenneté active au sens où l'entend Étienne Balibar (17). Ces lettres nous disent qu'il n'est pas trop tard. Je terminerai par les mots de Fatiha adressés à Monique:
"Voilà, j'ai passé un moment avec toi, et cela aussi est précieux pour moi. Embrasse pour moi Iris et Anne [...], qui un jour viendront dans mon pays, je veux le croire, très fort..." (p. 13)
Notes :
(1) Au "devoir de mémoire" intrinsèquement lié au passé et souvent invoqué pour que les crimes de l'Histoire ne sombrent dans l'amnésie et ne se reproduisent, j'ajouterai un autre impératif: "le devoir d'écoute" préliminaire d'un engagement dans le présent.
(2) Lucie Schmid, "Les médias français et l'Algérie", in : Esprit, février 1998, p.175.
(3) Il convient bien sûr de distinguer entre les différents quotidiens et hebdomadaires: Le Monde s'est toujours efforcé d'informer le plus objectivement possible, d'analyser sans tirer de conclusions hâtives. L'Événement du jeudi, a contrario, poursuit la ligne éditoriale qui est sienne: une orientation clairement "éradicatrice" qui fait le jeu du pouvoir algérien. Même constatation pour les chaînes de télévision : TF1 privilégie les images de violence.
(4) La notion de "seconde guerre d'Algérie", employée par Benjamin Stora et par moi-même, mérite précision. Il ne s'agit aucunement, en invoquant la violence actuelle et ses litanies de massacres, de réduire, d'amoindrir, et encore moins de justifier la guerre coloniale perpétrée par la France en Algérie, d'estomper ses tortures et ses ignominies. Il y a d'une part une guerre de Libération pour une cause dont la crédibilité et le bien-fondé demeurent inébranlables, guerre dont il importe aussi de se souvenir qu'elle fut également sanglante pour les Européens d'Algérie, dans des proportions moindres. Loin de cultiver l'amalgame douteux, cette notion de "seconde guerre d'Algérie" relève, dans l'emploi qui est mien, d'une urgence de lucidité, d'un impératif absolu qui répond à la nécessité de sortir des manipulations idéologiques qui ont souvent étouffé toute réflexion sous un amas de mensonges. Il y a guerre en Algérie: guerre contre les civils et non pas guerre civile. Par ailleurs, il conviendrait, pour la "première guerre d'Algérie" comme pour la "seconde", de revenir à leurs origines respectives. La première guerre d'Algérie est le résultat d'une guerre coloniale commencée dès la conquête de l'Algérie par la France, le 5 juillet 1830 avec la prise d'Alger par les troupes du maréchal de Bourmont; la seconde, selon Jacques Zylberberg, trouve ses prémices dès l'Indépendance dans une politique d'exclusion, de rejets et de violence menée par l'État FLN envers tous ceux qui ne se sont pas pliés à ses objectifs. Abandonnés par la France, les supplétifs musulmans (les Harkis), sont pourchassés et massacrés au cours de l'été 1962. Il convient de rappeler que rien ne justifie les massacres. Le retour sur le passé, allié au refus de l'amalgame, est sans doute aujourd'hui la condition sine qua non au début d'un éclaircissement qui permettrait peut-être de sortir enfin des silences mensongers d'une Histoire officielle sans cesse manipulée et des pièges de deux mémoires collectives. Une mémoire collective française et une mémoire collective algérienne relevant d'une construction idéologique resserrée sur des ethnicités respectives, des nationalismes, entre autres. Il y a urgence: pour enfin cesser de transmettre aux générations futures les mensonges qui, en France mais aussi en Algérie, nous furent toujours donnés comme parole divine.
(5) Nabile Farès, Le miroir de Cordoue, éd. : L'Harmattan, Paris, 1994.
(6) Benjamin Stora, Imaginaires de guerre - Algérie- Viêt-nam, en France et aux États-Unis, éd. : La Découverte, Paris, p. 16.
(7) En 1889, la France impose la nationalité française à tous les descendants d'immigrants européens nés en Algérie. La moitié seulement des 43 000 européens recensés en 1886 est française, alors que quarante ans plus tard, la population pied-noir compte moins de 200 000 étrangers sur un total de 830 000.
(8) Albert Camus, Le Premier homme, éd. : Gallimard, Paris, 1994, p. 68. Jacques Derrida écrit également: "Quant à ma famille, et presque toujours ailleurs, on y disait entre soi "la France" ("ils peuvent se payer des vacances en France, ceux-là", "il va faire ses études en France, celui-là", "il va faire une cure en France, en général à Vichy", "ce prof vient de France", "ce fromage vient de France") : Le Monolinguisme de l'Autre, éd. : Galilée, Paris, 1996, p. 72.
(9) Au moment où Le Monde commence la collecte de lettres, la journaliste Catherine Simon, correspondante permanente en Algérie, a dû rentrer en France. Il s'agit aussi de pallier une absence d'informations.
(10) Lettres d'Algérie, éd. : Le Monde/Gallimard (Folio actuel), Paris, 1998.
(11) Assia Djebar, Le Blanc de l'Algérie, éd. : Albin Michel, Paris, 1995, p. 261.
(12) Marc Angenot, "Méthodes des études littéraires, méthodes des sciences sociales et historiques", Paragraphes 8, Que pense la littérature ? Département d'Études Françaises, Université de Montréal, Montréal, pp. 5-25.
(13) "[...] qu'est-ce qui distingue la littérature d'autres choses, s'interroge Jonathan Culler, Qu'est-ce qui la distingue des autres discours ou des autres textes, des autres représentations? Qu'est-ce qui la distingue des autres produits de l'esprit humain ou des autres pratiques?" : "La littérarité", in : Théories littéraires, éd. : PUF, Paris, 1989, p. 31. C'est la littérarité, concept forgé par les formalistes russes, qui distingue la littérature des autres produits scripturaux, or, dans la plupart des lettres, la littérarité est bien présente.
(14) Benjamin Stora, L'Algérie en 1995 - La guerre, l'histoire, la politique, éd. : Michalon, Paris, p. 81-82.
(15) Ibidem, p. 97.
(16) Ibidem, p. 62.
(17) En particulier dans le texte écrit en hommage aux Africains "sans papiers" qui ont lutté et luttent encore pour que soient reconnus leurs droits à vivre et à travailler sur le sol français: "[...] nous leur devoir d'avoir [...] recrée parmi nous de la citoyenneté, en tant qu'elle n'est pas une institution ou un statut, mais une pratique collective". Balibar distingue nationalité et citoyenneté : l'exercice de la citoyenneté n'étant pas lié à l'appartenance nationale. "Ce que nous devons aux 'sans-papiers'", in : Droit de cité - Culture et politique en démocratie, éd. : de l'Aube, Paris, 1998, p. 25.
Culture et société en Algérie pré et post-crise 1978-1998
MAOUGAL, Mohamed Lakhdar : Université d'Alger, Alger (Algérie)
Résumé :
L'Algérie de l'après boumediennisme va connaître, peu après la mort de Boumédienne, de grands cataclysmes culturels d'abord, suivis par des bouleversements politiques qui préjugeaient de changements radicaux d'orientation économique. Au dirigisme outrancier et tout azimut, va succéder une timide et progressive libéralisation faite sur le mode réformateur (courant FLN rénovateur) : introduction des télévisions étrangères par satellites, émissions de moins en moins surveillées et contrôlées, débats ouverts et publics à la télévision sur des questions sensibles restées longtemps taboues. À la suite de l'insurrection avortée de la mouvance islamiste (1990-1991), une multiplication de manifestations de lutte politique, économique et culturelle s'est produite : multiplication de journaux et d'organes de presse partisans et associatifs, prolifération de troupes de théâtre et de musique moderne ou de raï, croissance considérable de l'édition et de l'imprimerie, création de partis politiques et de divers mouvements associatifs, etc. Après l'interruption du processus électoral de 1992, la vie culturelle et les intellectuels vont devenir les cibles privilégiés d'un terrorisme qui vise à revenir à la situation antérieure d'un État autoritaire et fascisant : rétablissement de la censure, dépérissement de l'édition, réduction du champs médiatique de la presse écrite pour diverses raisons…
Texte de la conférence : non disponible.
La constitution algérienne de 1996 : une avancée de la démocratie ?
HANNAT, Ali : Université de Montréal, Montréal (Canada)
Résumé :
Après le flou juridique causé par la mise en veilleuse de la constitution de février 1989 et le "bricolage" institutionnel mis à la hâte après l'arrêt du processus électoral, le régime algérien procède à une révision constitutionnelle qui se veut être le socle d'un nouveau édifice institutionnel et le cadre juridique d'un processus de recomposition politique. Si la nouvelle constitution de 1996 a été présentée comme une rectification et une amélioration de sa précédente, permettra-t-elle cependant, l'établissement et la consolidation de la démocratie dans ce pays ? Cette constitution constitue-t-elle une avancée de la démocratie ? Ce sont là les principales questions auxquelles l'auteur tente de répondre en analysant et comparant les deux constitutions algériennes : celles de 1989 et 1996.
Texte de la conférence : non disponible.
Algérie : l'économie de guerre, un obstacle à la paix ?
MARTINEZ, Luis : CERI-FNSP, Paris (France)
Résumé :
Au-delà de son aspect tragique, la guerre civile algérienne constitue une opportunité d'accumulation de richesses pour les protagonistes. En effet, la privatisation (terre, industries, hydrocarbure, transport, secteur hospitalier) en cours de l'économie algérienne s'apparente à une "économie de pillage" au profit des élites dirigeantes. De même, la guérilla islamiste recycle dans l'économie du négoce à travers des sociétés d'import-export les bénéfices accumulés à la faveur du jihâd. Aussi, l'un des facteurs de la consolidation de la guerre s'explique par les bénéfices économiques et financiers qu'elle dégage au profit d'une minorité.
Texte de la conférence :
Depuis 1992, date a laquelle le processus électoral fut interrompu à la suite de la victoire du FIS au premier tour des élections législatives, l'Algérie ne laisse entendre que des bruits de sang et de fureur. Les assassinats d'intellectuels, de journalistes et de civils laissent à penser que les acteurs économiques sont en sursis. Or, au cours de ces cinq années, de guerre civile de profondes transformations socio-économiques se sont produites qui handicapent réellement les chances d'un retour à la paix civile en dépit des récents événements encourageants, comme la libération de Abdelkader Hachani et de Abassi Madani. En effet à la faveur de la guerre civile une véritable "économie de pillage" (1) semble s'être installée, pour le plus grand profit des protagonistes, transformant ces derniers, à leur insu, en ennemis complémentaires. Aussi parmi les facteurs explicatifs quant à la durée d'un conflit que rien ne laissait présager, le rôle de l'économie dans la guerre est à même de rendre compte des difficultés à venir dans l'hypothèse d'un retour à la paix civile. Façonnés par un imaginaire de la guerre commun, militaires et groupes armés islamistes, attribuent à la violence les vertus d'un instrument d'accumulation de ressources et de prestige. C'est pourquoi la guerre civile actuelle loin d'être vécue comme un drame national, s'apparente davantage à une opportunité économique susceptible de favoriser une plus grande répartition de la richesse. Les émirs (chefs de groupes islamistes armés) sont imprégnés des figures historiques de l'Algérie contemporaine, qui se sont distinguées par une promotion sociale à la faveur des guerres. Qualifiés en leur temps de hors-la-loi, de bandits ou de mercenaires, les figures du raïs (corsaires) sous l'Empire ottoman, du caïd (fonctionnaire indigène) sous la colonisation ou des "colonels" (officiers de l'ALN) durant la guerre de libération (1954-62), forment les principaux modèles des émirs. Dans cette perspective, la guerre civile représente une véritable chance pour un grand nombre d'individus de se constituer un capital.
Les bénéfices de la destruction de "Tâghout"
L'activité des groupes armés islamistes ne se limite pas à la lutte contre les forces de sécurité. Parallèlement à des attaques contre des patrouilles militaires, indicateurs, policiers et villageois récalcitrants, une autre guerre se déroule à l'insu des médias. Parties prenantes de la guerre totale, les actions de sabotages et de destructions de l'appareil économique entreprises par le GIA visent à affaiblir Tâghout (Tâghout est le nom qu'attribuent les islamistes à l'État). Ainsi, le régime qualifié "d'impie" (Kofr) est associé à une "économie aux mains d'infidèles", dont la destruction ne peut être blâmable. Les dégâts économiques qu'occasionne cette violence (2) sont considérés comme licites puisque chaque société, entreprise ou véhicule public détruit supprime de l'Algérie la présence maléfique des "juifs, chrétiens et renégats". Le djihâd des groupes armés, pour être complet, doit éliminer outre les "infidèles" et les "communistes", leurs biens économiques aussi. Dans cette perspective, le régime n'apparaît que comme une greffe et ses agents ne sont que des "renégats" au service des "juifs" et de la France. Saïd Makhloufi, émir du MEI écrit : "Le régime en place tombera malgré ses appareils et ses moyens, lui qui était et demeure la cause de l'incroyable oppression et corruption qui vont encore s'accentuer avec l'économie libérale ouverte aux ennemis de l'islam, chrétiens et juifs qui ont à leur disposition toutes les richesses du pays".
Paradoxalement les choix des cibles économiques à détruire par les groupes armés islamistes ne sont pas ceux qui affaibliraient les ressources de l'État, bien au contraire. Ainsi, après cinq années de guerres et de multiples menaces contre le secteur des hydrocarbures qui assure 95 % des exportations et rapporte environ 12 milliards de dollars, rares sont les attaques des groupes armés. Certes, la zone du Sahara offre une géographie inhospitalière à une guérilla, de même il est manifeste que les employés de la Sonatrach semblent imperméables aux appels au djihâd. La très forte présence de l'armée dans le Sahara, déclaré en partie "zone d'exclusion" en 1995, ne facilite pas aux groupes armés des opérations de sabotages. Toutefois, il est surprenant pour plus d'un sympathisant islamiste que le sabotage d'un oléoduc ou d'un gazoduc ne demande pas beaucoup d'effort. Aussi, c'est avec désappointement que les supporters de la guérilla observent qu'à défaut de détruire la principale ressource du régime, la guérilla sabote des entreprises publiques en déficit voire en faillite financière et dont le FMI réclame à travers l'application du Plan d'Ajustement Structurel, l'arrêt des subventions publiques. La mise au chômage de plus de 45 000 ouvriers entre 1992-95 en raison de la politique de destructions et de sabotages des entreprises publiques par les combattants de la guérilla, n'a finalement que facilité l'application du PAS.
Plus troublant pour l'observateur est la redistribution des anciens monopoles d'État au bénéfice du secteur privé. La tactique de guerre des groupes armés islamistes, visant à détruire non pas le secteur des hydrocarbures, mais des entreprises publiques obsolètes s'accompagne d'une privatisation des secteurs les plus exposés. La destruction systématique des véhicules publics a pour conséquence une prolifération de sociétés de transports responsables de 60 % de ce secteur dans le Grand Alger. Alors que la privatisation de ce secteur datait d'un décret de février 1987, ce n'est qu'à partir de la guerre civile, qu'une véritable privatisation sauvage s'est opérée, réduisant à une portion congrue l'ETUSA (l'Entreprise publique des Transports urbains et suburbains d'Alger), avec un parc de 250 autobus sur les 2000 en circulation. La destruction systématique des parcs d'autobus publics par les combattants du GIA s'est traduite par un accroissement des parts de marchés du secteur privé dans ce domaine. Les transporteurs privés détiennent ainsi selon le une étude du Ministère des Transports financée par la Banque mondiale à Annaba et Sétif 100 % des parts de marchés, 98 % à Constantine, 86 % à Blida et 74 % à Oran etc.. Epargnés par la violence des émirs le secteur privé connaît une expansion, l'arrivée de nouveaux acteurs économiques - très souvent issus du secteur public- souligne comment l'affaiblissement de Tâghout, ne signifie pas la ruine de tous ses agents.
Ce processus de privatisation forcée dans les secteurs les plus touchés s'accompagne parfois d'une modernisation de l'outil économique. Tout comme les sociétés de transport public, les entreprises nationales de cimenterie sont des cibles récurrentes des combattants du GIA. Or, le ciment, à l'instar des produits alimentaires, demeurait jusqu'en 1994 un produit rare, soumis à la spéculation, au grand dam des consommateurs (et particulièrement de tous ceux qui, construisant sans permis, n'ont pas accès aux marchés publics). Les demandes de ces derniers n'ont pas cessé de croître tout au long de la décennie quatre-vingt. La faible production locale de logements (30 000 par an en moyenne au cours de la décennie quatre-vingt), ajoutée à un taux démographique élevé, ont suscité la construction d'habitats privés, illégaux dans une grande partie de la Mitidja. Toutefois, l'obtention de sacs de ciment, à l'instar de la farine pour les boulangers ou des médicaments pour les malades, est un parcours de combattant jalonné d'incessantes épreuves. Le ressentiment qui accompagne un tel parcours se nourrit de la paradoxale abondance de sacs de ciment, issus des entreprises nationales de cimenterie, dispersés sur le territoire. Pour les populations de la Mitidja, la cimenterie de Meftah, l'une des plus importante dont le coût d'installation était estimé à 60 millions de dollars, avant d'être sabotée par les groupes armés en 1994, devait alimenter la région. Les réseaux de distribution publique, chargés de vendre aux particuliers des sacs de ciment, sont comme pour d'autres produits, soumis à des règles de clientélisme. Car la production de la cimenterie étant irrégulière, les notables locaux, commerçants et anciens militaires, anticipent l'achat de la production et revendent sur le marché informel du ciment à un prix double (le prix du sac de ciment varie de 50 à 70 dinars sur le marché public, pour atteindre 130 à 150 dinars sur le marché informel).
L'émergence des groupes armés a en fait favorisé un processus de modernisation du secteur de la construction. En effet, le sabotage des cimenteries a vu naître de nouvelles entreprises privées de fabrication de ciment. Installés dans des communes proche du Grand Alger (Dellys Ibrahim...), des industriels répondent à la demande, sans crainte de subir les assauts des combattants des GIA concentrés sur "l'économie aux mains des infidèles". L'importation de France (à partir de sociétés d'import/export dirigées par des algériens) de machines ou d'outils capables de produire régulièrement les quantités demandées transforme les voies d'accès à la propriété et assure au gouvernement un soutien dans sa politique de construction de logement. Car, paradoxalement, c'est au moment où les infrastructures économiques liées à la production de logement sont atteintes par le terrorisme économique, que le gouvernement parvient à construire "180 000 logements entre 1994 et 1995", taux record au regard de la production annuelle moyenne. Ce qui amène Mahfoudh Nahnah, président du MSP (Mouvement de la Société pour la Paix), à se demander d'où proviennent les "quatre milliards de dollars"(3) nécessaires à la réalisation de ces constructions. Seul le soutien d'acteurs privés a permis le succès de la politique du logement, et particulièrement dans les villes de l'Est, supposées favorables au régime. Ce nouveau créneau commercial de construction de logements n'est pas sans importance, car la réussite relative de la politique de construction de logements, permettra sans doute à ces nouveaux acteurs économiques de participer aux projets de construction de quatre nouvelles villes.
La guerre que mènent les groupes armés islamistes contre le régime favorise l'enrichissement de ces nouveaux acteurs économiques. Ils occupent des créneaux qui grâce à la politique de destruction et de sabotage des émirs, deviennent lucratifs. Le régime trouve toutefois dans cette violence qualifiée de nihiliste ou de mortifère par des observateurs, un intérêt, car la destruction d'entreprises publiques, souvent endettées et improductives, allège son budget de l'entretien d'un outil économique coûteux, à travers un fond d'assainissement. En délaissant le secteur des hydrocarbures, alors que le régime en extrait l'essentiel de ses ressources, la guérilla islamiste facilite involontairement l'application du plan d'ajustement structurel. Au lieu d'une politique de licenciement de salariés prévue dans le PAS, redoutée par le régime en raison des conflits sociaux qu'elle soulèverait, les émirs, en détruisant les entreprises publiques, mettent directement au chômage des salariés, et épargnent aux forces de l'ordre le coût de la répression de manifestations sociales. Toutefois, les groupes armés parviennent autant que les notables et les entrepreneurs à bénéficier des mutations économiques en cours, qui handicapent profondément un retour à la paix civile à court terme.
Les émirs, à l'instar des notables locaux et des acteurs économiques privés, bénéficient de la situation de guerre civile qu'ils entretiennent. Certes, les risques qu'ils encourent sont bien plus grands que ceux des notables et entrepreneurs privés, pour des gains assez aléatoires. Mais, avec comme seul capital leur Foi dans le combat qu'ils mènent, ils parviennent pour les plus rusés, à s'élever dans la hiérarchie sociale. Le djihâd des groupes armés est une activité lucrative, elle explique le renouvellement permanent des combattants, en dépit des pertes subies. La haine et le sentiment de revanche sont aussi présents dans l'engagement, toutefois elles desservent l'entreprise des émirs lorsqu'ils constituent l'unique moteur. Bien des groupes armés ont disparu en raison de la folie meurtrière de leurs combattants. Ceux qui sont parvenus à se consolider dans la Mitidja le doivent, certes, au relatif abandon des forces de sécurité de cette région qui n'offre pas le même intérêt stratégique que le Sahara, mais aussi aux opportunités économiques liées aux groupes armés. Ceux-ci ont su répondre, mieux et plus vite que le régime, à la situation déplorable des jeunes gens, confrontés à un sentiment global de "clochardisation". Une enquête de Ministère de la jeunesse et des sports en 1995 soulignait que parmi les 18-24 ans, un "noyau-dur" estimé à 1 120 000 jeunes demeure "sans solution" quant aux possibilités d'insertion sociale.
Tout comme le FIS, entre 1990 et 1991, avait su mobiliser les étudiants et les diplômés au chômage, les cadres déçus et les fonctionnaires en voie de paupérisation, les factions révolutionnaires de la guérilla comme le GIA répondent aux problèmes de ce "noyau-dur". Seule l'intégration dans les forces de sécurité à travers la formation d'une garde communale de 60 000 hommes et des milices aux effectifs de 150 000 hommes, a permis à ceux qui étaient enrôlés de ne pas rejoindre les groupes armés. Ces derniers deviennent pour une partie de la population un véritable instrument de redistribution financier, ils assurent à leur sympathisants, les moyens de survivre à la mise en place d'une économie de marché, qui se traduit par la cherté du niveau de vie. Grâce à des revenus issus du racket et du trafic (de voitures volées notamment), les émirs détiennent un capital financier qui leur assure dans la guerre civile la possibilité d'entretenir des réseaux de soutien.
Les ressources dégagées de l'économie du trafic sont pour partie investies dans l'économie du négoce qui s'est mise en place en 1994 sous les recommandations du FMI. En effet la libéralisation du commerce est venue doper involontairement la trésorerie des groupes armés à travers des investissements dans les sociétés d'import/export. Des communes autrefois défavorisées accueillent les bureaux de certaines de ces nouvelles sociétés ; par ce biais les émirs reconvertissent leurs activités. Depuis 1994, près de 15 000 sociétés de négoce ont vu le jour, et pour le seul premier trimestre de 1996, 13 000 demandes d'enregistrement au registre du commerce ont été déposées, soit 60 par jour (4). L'engouement pour la création de ces sociétés de négoce résulte des garanties qu'offre cette activité, car aucun renseignement n'est nécessaire quant à la provenance des fonds financiers qui y sont injectés. Les facilités administratives accordées au service privé depuis les accords contractés avec le FMI en avril 1996, favoriseraient-elles la reconversion des groupes armés islamises ? En somme, l'économie du négoce réussira-telle là où les éradicateurs ont échoué ? Car l'émergence de ces jeunes "businessmen" dans les banlieues d'Alger, nouveaux directeurs de sociétés commerciales, qui délaissent la kamis et la barbe pour une tenue de golden boy, constitue une révolution dans la guerre civile. Impensable il y a cinq ans, cette ascension sociale grâce au djihâd et à la libéralisation du commerce, annonce une des sorties de guerre les plus honorables et les plus rentables pour certains émirs.
La combinaison de l'économie de guerre des émirs et des activités commerciales constitue un des ressorts de la consolidation de la violence. Insérés dans les flux commerciaux de l'Algérie avec ses partenaires extérieurs, ils mettent leur organisation à l'abri de problèmes financiers. Aussi, la politique de libéralisation du commerce favorise autant les intermédiaires de cette politique en Algérie, que les groupes armés islamistes qui combattent le régime. En somme, l'insertion de l'Algérie dans la mondialisation des échanges nourrit les protagonistes de la guerre civile. En 1994, la mise en place d'une économie de marché avec ses réformes économiques a engendré une consolidation des groupes armés islamises. Elle favorise une "économie de pillage" au "bonheur des mafias" (5) : émirs, notables et militaires exploitent au mieux de leurs intérêts la transition vers une économie de marché.
Dans cette perspective, on ne peut qu'être pessimiste quant aux intérêts des protagonistes à un véritable retour à la paix civile. En situation de faillite financière en 1993, le régime dispose depuis le rééchelonnement de la dette en 1994 et de la libéralisation du secteur des hydrocarbures un matelas en devises estimé en 1997 à cinq milliards de dollars. Alors que la guerre civile aurait fait plus de 60 000 victimes, la Sonatrach a signé trente-quatre accords de recherche de type partage de production avec plus d'une vingtaine de compagnies pétrolières internationales, dont les principales majors américaines. En 1994, l'Algérie a été classée comme le premier pays "découvreur" avec huit gisements de pétrole mis à jour. Loin d'avoir provoqué une hémorragie des investisseurs étrangers dans le secteur des hydrocarbures, la guerre a bien au contraire facilité la pénétration des firmes internationales dans ce secteur comme le démontre la réalisation du gazoduc Euro-med. La comparaison avec la guerre civile angolaise n'est pas sans intérêt tant elle permet de relever les processus de "reconversion économique de la nomenklatura pétrolière" (6).
Aussi, la surenchère du GIA - "pas de dialogue, pas de réconciliation, pas de trêve" - n'est pas sans servir les partisans de la guerre à outrance contre l'islamisme. En effet par son intransigeance cette faction islamiste devient un ennemi complémentaire. La guerre civile est-elle un instrument politique de redistributionVoir des richesses ? Si tel en était le cas, les actionnaires de cette activité ne sont pas surs pour autant de pouvoir maîtriser la dynamique qu'ils ont insufflée. En effet, l'autonomisation croissante des acteurs de la guerre, comme les milices ou les groupes armés, par rapports à leurs parrains respectifs, en l'occurrence les militaires et le FIS, laisse présager une consolidation de la violence. Les massacres de civils qui se perpétuent dans la Mitidja depuis bientôt un an, illustrent ce processus de privatisation de la violence. Considérée comme une zone incontrôlable en raison de la très forte présence d'islamiste, la Mitidja a été "abandonnée" par les militaires qui considérent que le coût de sa "pacification" serait exorbitant. Aussi, à la défense des hameaux de la Mitidja par les forces de sécurité, s'est substitué la politique de la défense des villages par les civils, à travers la formation de milices rémunérées par le gouvernement. Dès lors la plupart des villages ont été exposés aux représailles des groupes armés islamistes afin de faire payer cette "trahison". Un cycle infernal s'est instauré depuis lors, où à la violence des émirs contre les civils, répond la violence des miliciens contre les familles des groupes armés islamises, elles aussi implantées dans la Mitidja. Emportés dans un mécanisme de vendetta, les villageois de la Mitidja émigrent dans l'indifférence la plus générale vers le Grand Alger dans l'espoir de trouver là, un semblant de paix. L'enivrement de la violence dans la Mitidja n'est pas sans intérêt pour le régime, car elle implique davantage les civils à se défendre et elle décrédibilise le combat politique de la guérilla. Les militaires n'ont-ils pas dès lors, comme l'affirment certains responsables du FIS, un intérêt à entretenir cette violence qui manifestement leur procure plus d'avantages que d'inconvénients ?
Une telle accusation bien évidemment vise à se déresponsabiliser et cherche à démontrer que la perpétuation de la violence relève de la seule volonté du régime. Toutefois, il apparaît aujourd'hui que la dynamique de la guerre a produit ses propres acteurs, et que parmi une partie de la jeunesse en situation de paupérisation, la pratique de la violence est devenue un style de vie, voire un moyen de survie. Ainsi, ces dernières années sont marquées par une surprenante explosion du métier des armes qui constitue sans aucun doute le secteur qui recrute le plus. Outre l'enrôlement dans les forces de sécurité (armée, garde communale, milice, service de sécurité etc...) qui n'a jamais cessé et dans les organisations de guérilla (AIS, GIA, FIDA, MEI, LIDJ), il s'est développé un banditisme armé qui a su exploiter l'affaiblissement de l'État. C'est dire que la société algérienne est caractérisée après cinq années de guerre par une profonde militarisation.
C'est souligner surtout que les enjeux d'un retour à la paix civile se situent outre dans une négociation politique réussie mais surtout dans une politique de démobilisation de ces "guerriers" et dans un contrôle de la prolifération des armes.
Dans cette perspective, on ne peut qu'être pessimiste quant aux intérêts des protagonistes à un véritable retour à la paix civile. En situation de faillite financière en 1993, le régime dispose depuis le rééchelonnement de la dette en 1994 et la libéralisation du secteur des hydrocarbures d'un matelas en devises estimé en 1997 à cinq milliards de dollars. Alors que la guerre civile aurait fait plus de 60 000 victimes, la Sonatrach a signé trente-quatre accords de recherche de type partage de production avec plus d'une vingtaine de compagnies pétrolières internationales. L'Algérie a été classée comme le premier pays "découvreur" avec huit gisements de pétrole mis à jour. La guerre civile n'a pas constitué un obstacle aux investisseurs étrangers dans le secteur des hydrocarbures comme le démontre la réalisation du gazoduc Euro-med.
Aussi, la surenchère du GIA - "pas de dialogue, pas de réconciliation, pas de trêve"- n'est pas sans servir les partisans de la guerre à outrance contre l'islamisme. Par son intransigeance, cette faction islamiste devient un ennemi complémentaire. La guerre civile est-elle un instrument politique de redistribution des richesses ? Si tel en était le cas, les actionnaires de cette activité ne sont pas sûrs pour autant de pouvoir maîtriser la dynamique qu'ils ont insufflée. En effet, l'autonomisation croissante des acteurs de la guerre, comme les milices ou les groupes armés, par rapport à leurs parrains respectifs, en l'occurrence les militaires et le FIS, laisse présager une consolidation de la violence. Les massacres de civils qui se perpétuent dans la Mitidja depuis bientôt un an, illustrent ce processus de privatisation de la violence. Considérée comme une zone incontrôlable en raison de la très forte présence d'islamistes, la Mitidja a été "abandonnée" par les militaires qui considèrent que le coût de son contrôle serait exorbitant.
Aussi, à la défense des hameaux de la Mitidja par les forces de sécurité, s'est substituée la politique de la défense des villages par les civils, à travers la formation de milices rémunérées par le gouvernement. Dès lors la plupart des villages ont été exposés aux représailles des groupes armés islamistes afin de faire payer cette "trahison". Un cycle infernal s'est instauré depuis lors, où à la violence des émirs contre les civils, répond la violence des miliciens contre les familles des groupes armés islamistes, elles aussi implantées dans la Mitidja. Emportés dans un mécanisme de vendetta, les villageois de la Mitidja émigrent dans l'indifférence la plus générale vers le Grand Alger dans l'espoir de trouver là, un semblant de paix.
Il apparaît aujourd'hui que la dynamique de la guerre a produit ses propres acteurs, et que parmi une partie de la jeunesse en situation de paupérisation, la pratique de la violence est devenue un style de vie, voire un moyen de survie. Ainsi, ces dernières années sont marquées par une surprenante explosion du métier des armes qui constitue sans aucun doute le secteur qui recrute le plus. Outre l'enrôlement dans les forces de sécurité (armée, garde communale, milice, service de sécurité etc...) qui n'a jamais cessé et dans les organisations de guérilla (AIS, GIA, FIDA, MEI, LIDJ), s'est développé un banditisme armé qui a su exploiter l'affaiblissement de l'État. C'est dire que la société algérienne est caractérisée après cinq années de guerre par une profonde militarisation. C'est souligner surtout que les enjeux d'un retour à la paix civile se situent bien au-delà d'une négociation politique réussie. Seule une politique d'intégration de ces "guerriers" dans les rouages de l'État permettra un retour à la paix et un contrôle de la prolifération des armes. Après six années de violence, on ne peut que constater l'illusion d'une politique d'éradication des groupes armés islamistes. La politique de Liamine Zéroual depuis son élection en novembre 1995 consiste d'ailleurs à favoriser l'expression politique de l'islamisme afin d'ôter à la guérilla la légitimité de son combat.
Normalisation du champ politique et réinsertion des islamistes
La libération de Abdelkader Hachani en juillet 1997 illustre ce processus de normalisation du champ politique, tel qu'il s'est constitué lors des élections législatives du 5 juin 1997. Alors que les résultats officiels accordaient au RND, parti de la présidence, 156 députés et en faisaient le principal vainqueur, les résultats officieux attribuaient au parti de Mahfoudh Nahnah un score de 159 députés au lieu des 69 annoncés. C'est dire, qu'en dépit d'un taux d'abstention très élevé, le MSP était parvenu à mobiliser une partie de l'électorat du FIS. Qualifié "d'usurpateur" par Abassi Madani, M. Nahnah parviendra-t-il à préserver les avantages et privilèges acquis durant la guerre ?
C'est au moment où l'hypothèse d'une victoire des islamistes armés se répand entre 1993 et 1994, que Cheikh Nahnah, en compagnie de cinq autres personnalités religieuses, crée en janvier 1994 le Rassemblement Islamique Républicain (RIR) afin de jouer les médiateurs entre le régime et le FIS dissout. Cette nouvelle formation cherche à créer un espace politique dans lequel les partis en conflits puissent négocier, elle se veut ouverte " aux islamistes armés qui auraient déposé leurs armes, aux membres du FIS et à tous les patriotes sincères ". Ce rôle de médiateur intéressé, Hamas n'aura de cesse de le mettre en avant jusqu'à l'élection présidentielle du 16 novembre 1995. En utilisant ce créneau politique, il s'oppose aux autres formations politiques (FFS, FIS, FLN) qui élaborent à Sant' Egidio à Rome en 1994, puis en 1995, la mise en place d'une " plate-forme pour la paix ", violemment rejetée par le régime qui percevait dans cette initiative, une volonté " d'internationaliser la crise ". Profitant de la dissolution du FIS au lendemain de l'interruption du processus électoral, Hamas devient, grâce à la disgrâce qui frappe le FLN dirigé par A. Mehri engagé dans une " opposition constructive ", un partenaire important pour le régime.
En 1994, la nomination de Liamine Zéroual à la présidence par le Haut Comité de Sécurité (HCS) annonce une volonté de recomposer le paysage politique. Le régime, soutenu jusque là par des partis politiques non représentatifs et des personnalités de tendances " éradicatrices " ( Le Tahadi, le RCD, R. Malek etc..), met en place un agenda politique afin d'élargir sa base mise à mal depuis la défection du FLN. Le discours-programme d'octobre 1994 du nouveau président souligne la nécessité de former de nouvelles alliances politiques. Dans cette perspective le parti Hamas représente au regard du pouvoir, un partenaire crédible, qui de plus est à même de récupérer une partie de l'électorat du FIS. L'annonce de l'organisation d'une élection présidentielle en novembre 1995 s'inscrivait non seulement contre l'initiative des partis réunis à Sant' Egidio à Rome, qui préconisaient l'organisation d'élections législatives, mais devenait aussi l'occasion de responsabiliser le Hamas en lui accordant le monopole du champ islamiste.
Avec un résultat de 25 % des voix en faveur de M. Nahnah - qui estimait avoir obtenu au moins 40 % - ce parti a réussi son pari, il devient à la faveur de cette élection " la deuxième force politique du pays ". Est-ce à dire que ce parti est parvenu à récupérer entièrement l'électorat du FIS ? Ainsi, à la faveur de la guerre civile, le Hamas développe son audience et passe de 2,7 % des électeurs en 1991 à 25 % en 1995. Au cours de cette période, il bénéficie de la marginalisation du FIS et surtout de la dissidence du FLN contre l'armée. Celle-ci a trouvé dans le Hamas, un substitut au FIS et un formidable moyen de pression contre le FLN pour le ramener dans le giron du régime. Au carrefour de ces diverses stratégies, M. Nahnah exploite une situation qui en fait le représentant du FIS face à l'armée, la caution islamique du régime et un éventuel " pacificateur "de la Mitidja.
Entre 1992 et 1995, ce parti acquiert une nouvelle dimension, mais est-elle durable ? Les conditions qui ont favorisé le développement de ce parti se sont modifiées après l'élection présidentielle. Sur le plan interne, le régime menacé d'une défaite militaire face à la guérilla semble l'emporter, sans pour autant vaincre entièrement. Ce renversement de situation affaiblit le FIS qui trouvait dans la résistance des groupes armés un moyen de pression sur le pouvoir. Sur le plan international, le régime a effacé l'illégitimité qui le caractérisait et bénéficie dès lors d'un soutien inconditionnel de ses partenaires extérieurs. Ces mutations ont affaibli la position du parti Hamas dans ses négociations avec le régime. La présidence crée à trois mois des élections législatives, le Rassemblement National Démocratique, un parti composé des "familles révolutionnaires".
Alors que le Hamas tenait un discours modéré sur le régime, le ton s'est radicalisé en raison de la place faite à l'islam dans la nouvelle Constitution. Ainsi dans son numéro d'avril 1996, Ennaba, journal du Hamas, écrit : " Toucher à ce qui pourrait aggraver le pourrissement de la situation ferait exploser les choses " . La Constitution, votée, oblige le Hamas a modifier son sigle mais Abdelaziz Belkhadem, l'un des responsables de cette formation de rappeler : "qu'interdire les partis islamistes parce qu'ils seraient religieux n'est pas une solution ". La volonté du régime d'interdire tout retour du FIS sur la scène politique a des répercussions sur le Hamas, qui toutefois n'entre pas dans une stratégie de la tension comme le FIS en 1990 lors de la loi sur le découpage des circonscriptions pour les élections législatives. Contrairement au FIS, le Hamas inscrit son action dans la durée et s'efforce d'investir les rouages de l'État. Le pouvoir n'ayant pas séparé la religion de l'État, comme le suggéraient les partis laïques ( El Tahadi, RCD) de modifier l'article 2 de la Constitution qui fait de l'islam la religion de l'État, le Hamas préserve son projet alternatif d'un " islamisme républicain ". Le deuxième volet de la force de ce parti est, après le contrôle des instruments de propagande, son poids économique.
Affublé du sobriquet de "Cheikh El Paga " en raison de son goût pour les costumes en alpaga, M. Nahnah bénéficie d'une influence grandissante parmi les acteurs économiques du secteur privé. Jusqu'en 1992, le Hamas avait une influence limitée à la Mitidja et c'est à la faveur de la conjoncture qu'il élargit son audience au niveau national. Aussi ce parti profite des donations qu'effectuent les 300 000 commerçants privés enregistrés, ces derniers espèrent que le retour des partis islamistes affaiblira la position des groupes armés islamistes qui ne cessent de leur revendiquer au nom de l'impôt de guerre, des sommes financières. Les revenus du parti ne se limitent pas toutefois aux seuls dons des commerçants, son intégration progressive dans les rouages de l'État lui accorde certains revenus. Sa présence au gouvernement offre au régime, une nouvelle respectabilité auprès de l'association des Frères Musulmans, tant en Egypte qu'en Arabie Séoudite. L'activisme du Hamas-MSP ne doit pas faire illusion, ce parti demeure incapable de récupérer la base électorale du FIS. Sympathisante de l'AIS au cours de ces dernières années, comment va-t-elle réagir à la trêve ? Soutiendra-t-elle dorénavant le GIA ? La trêve de l'AIS constitue-t-elle un jalon vers la paix? Quelles issues à la guerre civile ?
Trois évolutions possibles apparaissent. En premier lieu, le prolongement de la guerre à outrance contre les groupes armés islamistes jusqu'à leur "éradication". Depuis la trêve unilatérale de l'AIS, les militaires regroupés derrière le corps d'armée du général Mohamed Lamari estiment qu'une négociation est futile, car seule une politique de lutte anti-guérilla énergique est à même d'amener les groupes armés islamistes à la reddition. Toute autre politique que l'éradication est perçue comme un signe de faiblesse, elle laisse croire aux groupes armés que le régime est incapable de les vaincre et par conséquent contraint tôt ou tard à négocier. Ce courant politique au sein de l'armée est partisan de payer le "prix fort" de la lutte armée. Assuré de pouvoir bénéficier de rentrées financières régulières depuis le rétablissement des équilibres macro-économiques, il escompte épuiser les combattants islamistes dans une guerre d'usure, à l'instar des militaires péruviens contre le Sentier Lumineux. Cette stratégie se heurte au renouvellement des groupes armés islamistes. Le vivier de jeunes sans ressources demeure inépuisable en Algérie alors que la situation socio-économique ne laisse espérer aucune amélioration des conditions de vie. Dans cette perspective on ne peut que souligner l'illusion d'une victoire militaire totale contre les groupes armés.
La deuxième évolution possible du conflit consiste en une absorption progressive des combattants islamistes dans les rouages de l'État (garde communale, groupe d'auto-défense etc..). Cette stratégie est encouragée par la Présidence et par les services de sécurité dirigés par le général Smaïl Lamari. Prenant acte de la défaite de la guérilla islamite dans sa volonté d'instaurer un État islamique par la violence, la Présidence considère qu'il faut ouvrir des voies de sortie aux combattants soucieux de retourner à la vie civile. Le succès des négociations avec l'AIS démontre que les combattants islamistes sont à même de déposer les armes si des possibilités de reconversion leur sont offertes. Aussi chercher à les éradiquer peut provoquer leurs dérives dans une guerre sans objectif, si ce n'est de survivre en pratiquant la violence. Une fois sortis du djihâd, les combattants doivent convaincre l'électorat du FIS qu'ils n'ont pas trahi le projet islamiste de l'instauration d'un État islamique, mais que celui-ci ne peut se faire par la violence. Il convient donc de réintégrer le système afin de mener le combat dans l'arène politique aux cotés des partis islamistes qui siègent à l'Assemblée nationale comme le Hamas-MSP et la Nahda. L'espoir des combattants islamistes repose sur l'éventualité d'être autorisés à créer un nouveau parti regroupant les cadres du FIS qui auraient définitivement rejeté le recours à la violence. Une telle évolution ne manquerait d'affaiblir en profondeur le GIA, bien mieux que la politique d'éradication de ses combattants, elle les priverait de la légitimité qu'ils ont auprès de la base du FIS qui retrouverait ses représentants dans ce nouveau parti.
Une telle perspective ne manquerait d'inscrire l'Algérie sur le chemin de la paix civile. Cette évolution ne doit pas masquer que la violence restera d'actualité en raison de la politique du GIA pour qui il ne peut y avoir de "trêve ou de négociation". La force de cette guérilla est de bénéficier de la politique d'éradication de l'armée, qui produit auprès de la base électorale du FIS, terreur, crainte et désir de vengeance. D'autre part, engagés dans les rangs du GIA, les combattants sont convaincus qu'ils n'ont plus d'autre échappatoire que la poursuite du djihâd jusqu'au martyr, c'est dire toute les dérives meurtrières qui peuvent être réalisées au cours de leur courte vie de guérilleros. Une politique de réinsertion des cadres du FIS et de l'AIS faciliterait la récupération de la base du parti dissout, ce qui ne manquerait pas de tarir le vivier de combattants potentiels du GIA. Seule cette évolution permettrait d'éloigner progressivement la violence du quotidien des Algériens. Ainsi, il est évident que le pouvoir ne peut intégrer ceux qui le refusent, il peut néanmoins favoriser les conditions pour que cesse le soutien d'une partie de la base du FIS au GIA en offrant un cadre politique dans lequel cette base puise se reconnaître. Le soutien au GIA est un soutien par défaut, il s'explique autant par le ressentiment social et politique d'une partie des Algériens contre le régime que par la terreur qu'inspire cette guérilla. Il s'agit donc d'ouvrir d'autres perspectives à une certaine jeunesse que celle du martyr dans les rangs du GIA.
En conclusion, on peut dire que l'Algérie est à un carrefour. Le régime algérien est parvenu à surmonter les trois défis auxquels il était confronté au cours des années 1993 et 1994 (faillite financière, guérilla islamiste et une alternance politique regroupée à Rome). Ces succès ne doivent pas faire oublier que la violence persiste car les conditions qui l'ont produite sont toujours d'actualité. Le régime a les moyens de mettre en place les conditions d'une sortie de guerre. Son existence n'est plus menacée tant le rapport de force militaire lui est favorable, les principaux partis politiques ont cessé de boycotter les institutions et siègent dorénavant à l'Assemblée nationale. Aussi soit le pouvoir poursuit sa guerre à outrance contre les groupes armés islamistes au risque de s'user dans une guerre sans fin, tant le renouvellement des combattants est inépuisable, soit il entreprend d'élargir profondément le champ politique aux islamistes qui rejettent la violence. Le risque politique islamiste est inexistant depuis les modifications de la Constitution qui ôtent tout pouvoir à l'Assemblée, c'est dire que le régime dispose de la possibilité d'instaurer un gouvernement de transition regroupant les principales formations politiques sur le base d'un programme politique visant à restaurer la paix civile. La victoire des militaires ne pourra être définitive que lorsqu'une issue politique aura été trouvée à la crise née de l'interruption du processus électoral en janvier 1992. L'aide de l'Union européenne à l'Algérie, pour qu'elle soit à même de favoriser la paix civile ne doit pas être prisonnière de l'illusion d'une éradication des groupes armés mais encourager l'ouverture du champ politique algérien aux tendances plurielles de la société algérienne, dont les islamistes du FIS sont l'une de ses composantes. La guerre civile a appris aux dirigeants du FIS à reconnaître cette pluralité, l'Union européenne peut aider les dirigeants de l'armée à en tirer les conclusions politiques. La défaite du parti islamiste dans la guerre ne doit pas se traduire par l'écrasement de son électorat, car c'est toute l'Algérie qui en souffrirait et avec elle, les témoins de ce drame.
Notes :
(1) Expression empruntée à Béatrice Hibou, in : Jean-François Bayart, Stephen Ellis et Béatrice Hibou, La criminalisation de l'État en Afrique, éd. : Complexe, Bruxelles, 1996.
(2) Saïd Makhloufi, Traité de la désobéissance civile, 1991.
(3) El Massa, 28 décembre 1995.
(4) El Watan, 9 juillet 1996.
(5) A. Roussillon, "L'Égypte et l'Algérie au péril de la libéralisation", in : Les dossiers du CEDEJ, Le Caire, 1996.
(6) M. E. Ferreira, "Angola : La reconversion économique de la nomenklatura pétrolière", in : Politique Africaine, mars 1995.
Entre propagande et voix dissidentes : l'information internationale et la crise algérienne
GARON, Lise : Université Laval, Québec (Canada).
Résumé :
Un aspect particulier des influences transfrontières entre médias et gouvernements, soit la réaction de la presse internationale face à la propagande militaire, fait l'objet d'une controverse, depuis les charniers de Timisoara et la guerre du Golfe : les médias sont-ils capables d'accomplir la mission qu'on leur attribue généralement ? Sont-ils capables d'informer l'opinion publique de manière objective et sans parti-pris ? En particulier en temps de guerre ? Comment peuvent-ils alors contribuer à renforcer une stratégie de manipulation de l'opinion ? Ou au contraire à l'affaiblir ? Quelles fonctions cette subjectivité tend-elle à réaliser ? L'auteur tente de répondre à ces questions en analysant le cas algérien.
Texte de la conférence : non disponible
HIDOUCI, Ghazi : Revue Pôle, Paris (France)
La crise algérienne entre information et désinformation
Résumé :
La censure et le contrôle hermétique sous état d'urgence du champ politique expliquent les perceptions souvent erronées des problèmes. La prégnance de nombreuses contrevérités manifestes relatives aux événements que vit l'Algérie depuis près de neuf ans est largement facilitée par ailleurs par les parti-pris idéologiques fréquents, souvent inconscients des faiseurs d'opinion. Cette situation fausse, déplace et déforme les débats et trouble l'opinion publique internationale qui se réfugie dans l'émotion faute d'intelligence des situations.
Les entreprises de désinformation contrôlées, destinées à soutenir directement ou indirectement les pratiques totalitaires en œuvre, s'en trouvent énormément facilitées. La contribution illustre ces réalités en questionnant les rapports des phénomènes islamistes violents et non violents avec l'entreprise de restauration depuis 1992 du régime politique prévalant avant Octobre 1988. Elle constate que le résultat le plus sûrement réalisé se situe au niveau de la délégitimation de la société et l'escamotage de ses aspirations au profit d appareils politiques préfabriqués, issus de la bureaucratie au pouvoir et associés à la gestion totalitaire de la société.
Texte de la conférence :
Depuis 1992, l'absence d'information et la désinformation caractérisent plus que jamais la relation des événements qui se déroulent en Algérie. Cette situation est le résultat de la combinaison de trois facteurs principaux.
La censure de l'expression politique imposée de fait aux courants d'opinion opposés au régime et celle de la communication ont été très efficaces. Cette censure n'est connue que sous ses aspects réglementaires et publics. Or, elle s'exerce surtout indirectement.. L'état d'exception de fait, justifié par la lutte contre le terrorisme et imposé à tous, autorise toutes formes de pressions discrètes et non avouées pour obtenir le silence en Algérie et aussi à l'Étranger.
Le contrôle et la manipulation exercées sur la majorité des mouvements légalisés du pluralisme politique ont été déterminants. Ces mouvements sont présentés comme des partis d'opposition alors qu'ils ne constituent, en dehors du F.F.S, que des façades artificiellement différenciées de la même bureaucratie remise en selle par le recours à la force en Janvier 1992. Cet artifice a permis pendant plusieurs années d'entretenir l'équivoque, de duper l'opinion internationale en faisant croire au fameux "frémissement démocratique" opportunément perçu, faute de mieux, par la délégation du Parlement Européen et par les chancelleries. Il a surtout servi à faire oublier que les oppositions authentiques ne peuvent pas se faire entendre ( voir les conditions du sabordage du Contrat de Rome en 1995). L'argument suprême consiste à leur demander d'accepter les conditions de subordination posées par le pouvoir pour être reconnues à l'étranger, risque que seul le F.F.S. a accepté d'assumer.
La propagande officielle a enfin trouvé une écoute attentive dans la majorité des courants politiques prégnants en France et en Europe. A droite comme à gauche, la crainte de la répétition du scénario iranien après la confiscation de la victoire sur le Shah par le Mollariat de Khomeyni ou encore la peur d'une situation comparable à celle de l'Afghanistan aux portes de l'Europe a joué à plein et sans précautions dans le sens de la diffusion des mots d'ordre de l'enfermement démocratique en Algérie. Les islamistes algériens et à leur suite tous ceux qui s'opposent au régime, paieront pour ce que les autres islamistes sont sensés avoir fait. A contrario, l'analyse lucide des réalités ainsi que les revendications de garanties démocratiques véritables, y compris le droit minimum à l'investigation, ne rencontrent que très laborieusement et épisodiquement une écoute suffisante.
Dans un tel cadre, les réalités sont simplement niées et peu de gens trouvent nécessaire d'aller au-delà de la désignation de la responsabilité première des islamistes opposés au régime puisqu'ils sont par nature pervers vis à vis de la civilisation, donc vis à vis de leurs adversaires en Algérie et même vis à vis des islamismes affichés dits modérés.
Pour l'opinion internationale, la perception dominante est celle d'une terreur imposée à la campagne comme à la ville par deux à trois mille guérilleros islamistes, aussi bien à l'État qui dispose vainement en apparence d'une armée conventionnelle de plus de cent mille hommes et d'une armée non conventionnelle plus nombreuse, qu'à l'ensemble de la société. Que l'État et la société soient incapables depuis six ans de se protéger de bandes coupées de toute base ne préoccupe que très rarement et superficiellement les producteurs et diffuseurs d'information.
Il serait hautement utile de s'interroger sur les raisons historiques idéologiques et stratégiques de l'ensemble de ces facteurs. Peut-être pourrons nous néanmoins esquisser rapidement quelques pistes d'explications.
1. Groupes armés islamismes et information
Le discours officiel du régime ainsi que celui des porte-parole des appareils du F.I.S. présente les groupes armés comme des organisations anonymes, incontrôlées, libérées de l'appui indispensable d'une partie de la population. A travers ces élaborations, L'objectif consiste dans les deux camps à effacer tout soupçon de lien ou de manipulation des groupes armés. C'est de bonne guerre. Ce qui l'est moins, c'est l'attitude de la majorité des médias et des appareils politiques de l'Union Européenne qui, en dehors de la presse britannique, enfourchent, sans précautions critiques, ces constructions de propagande et acceptent de bonne foi ces contrevérités. Cela est pourtant irréfutable.
La source principale de la prégnance de ces propagandes se trouve dans le parti- pris idéologique conjugué à une méconnaissance aiguë des réalités sociales. Ces deux éléments conduisent à nier que l'islamisme puisse véhiculer et exprimer des formes modernes de contestation politique. L'amalgame entretenu, y compris par des dirigeants islamises, entre islamises contestataires, arriérations millénaristes et projets totalitaires religieux, hors contexte et sans tenir compte des réalités concrètes diverses, ni de la multitude des positions, dans l'islamisme politique algérien et à l'intérieur même du F.S., a de quoi rendre pour le moins perplexe…
Dans la réalité, le langage opaque et les attitudes doctrinaires permettent de délégitimer et d'escamoter les véritables acteurs du drame qui deviennent pratiquement virtuels à l'avantage de l'occupation usurpée du terrain par les appareils politiques en concurrence en Algérie et à l'étranger. Menacé d'être accusé de soutenir la violence, le citoyen non subordonné a conscience que son activité politique devient hautement risquée dans le cadre d'une gestion par la terreur et sous État d'Urgence. Il sait que tout peut arriver à n'importe qui parce que l'action des groupes armés nécessairement non identifiés est voulue gratuite et n'a volontairement et délibérément pas de sens.
De nombreuses formations politiques et associations, bien éloignées du F.S.. ont été contraintes d'abandonner l'activité politique et sociale et de mettre sous le boisseau leur capacité d'information et d'interprétation. De proche en proche, les observateurs extérieurs, soumis à la manipulation systématique de la vérité, finissent par admettre que le mensonge, seule source disponible d'information, devient vraisemblable.
Les appareils d'État, qui disposent du monopole de la communication, ont en effet seuls droit à la parole. Lorsqu'ils la délèguent ou ne la dissimulent pas, c'est uniquement pour confirmer leur leadership et les légitimer. Tout algérien témoignant devant la presse internationale accompagnée d'une escorte armée sera abandonné, évidemment sans garantie, à son sort, sitôt l'interview fini. Il ressemble à Boukharine qui, en s'accusant lui-même, légitime la liquidation des opposants à Staline et à la G.P.U. Quel aveuglement entraîne des chroniqueurs célèbres et qui en ont vu d'autres, à légitimer de telles pratiques ? Seule la fascination morbide pour les mythes et les fantasmes véhiculés par la peur de l'altérité peut expliquer un tel acharnement à se laisser berner, évacuant toute exigence critique. Le trouble et l'émotion compensent l'absence d'intelligence des situations; les images de l'horreur, opportunément dévoilées, viendront empêcher, chaque fois que nécessaire, toute analyse rationnelle, justifiant du même coup la nécessité de la dictature. Les gouvernements étrangers, politiquement non engagés pour de multiples raisons, semblent ne plus disposer de capacités autonomes d'informations ou du moins peu moralement désireux de les divulguer.
Pourtant, derrière l'alibi de l'éradication, il y a un choix délibéré de gestion par la terreur de la société pour lui faire supporter le refus d'alternative politique.
2. Politique et terrorisme
Dans l'affrontement pour le contrôle du pouvoir, la lutte antiterroriste, quelque soient ses ressorts, sa nature ou ses objectifs, n'est plus qu'un instrument au service des uns et des autres, Une partie des maquis, celle qui faisait plus ou moins sens auparavant, abandonne le combat à l'occasion d'une trêve dont les protagonistes officiels n'osent ni s'afficher ni encore moins s'expliquer: l'opération fait partie d'une lutte aux issues encore incertaines et qui demeure dans la logique du système encore secrète. Les maquis qui demeurent actifs sont plus que jamais mystérieux, violents et insaisissables. Pour accroître la confusion, les anciens leaders du F.I.S, coupés de leur base, seront manipulés au point où leurs divergences éclatent au grand jour et contribuent à leur tour à aiguiser les conflits et les risques d'affrontements au sein du pouvoir.
La confusion orchestrée autour des massacres de l'été est le résultat de dynamiques de contrôle du pouvoir par les différents courants à la recherche d'un nouvel équilibre. La pression exercée sur le nouveau Président par les U.S.A. pour ouvrir le dialogue politique a précipité les règlements de compte. Les luttes de factions que la nouvelle étape a entraîné ont amplement montré néanmoins que le système de pouvoir en place est structurellement contradictoire de toute ouverture politique efficace à l'intérieur et de toute possibilité d'investigation indépendante pour comprendre ce qui se passe.
Le pouvoir tente alors de faire illusion sur l'extérieur en faisant gérer sa propagande par des appareils politiques préfabriqués dont le souci fondamental est le refus d'une véritable évolution démocratique et qui ont surtout besoin que la normalisation soit indéfiniment reportée. A voir le succès obtenu auprès des parlementaires européens et principalement la déstabilisation pour le moins inattendue de Coin Bandait, le moins soupçonnable de compromission, on ne peut que constater l'efficacité de telles méthodes en Europe. Il est vrai qu'une poignée de militants staliniens, depuis longtemps en perdition et totalement compromis avec la dictature, contrôlent pour cela même la médiatisation du régime et arrivent à impressionner en vendant en Occident une image de modernité et de laïcité à qui on pardonne aisément la logique totalitaire transparente.
L'épisode de l'été passé, le système se referme et retrouve sa nature véritable. Tant qu'il peut, par cette stratégie, paralyser les forces politiques et sociales de contestation opposées à la violence, et s'assurer l'indifférence extérieure, il survit sans déclencher pour autant la moindre dynamique de gestion sociale, acceptant en contrepartie de la cooptation de clientèles mercenaires, l'état endémique d'anarchie, de corruption généralisée, de régression économique et de délitement des structures administratives sociales et collectives publiques.
Le refus de transformation du pouvoir et la gestion par la terreur n'empêchent nullement pourtant le développement de nouvelles formes clandestines de radicalité, d'organisation de la contestation déstabilisatrice et de recherche d'insertion dans l'espace politique y compris indirectement à travers des organisations sociales et des associations. L'adaptation à la nouvelle étape de fermeture totale du champ des combinaisons pacifiques possibles passe dorénavant par ce type de configurations. L'évolution n'en peut être que plus explosive, plus imprévisible et plus inquiétante en l'absence de débats et d'information non censurés.
3. Conclusion
Dans ce contexte, la constitution de milices de divers types, demeurée mystérieuse et non expliquée officiellement, aura de nombreuses répercutions en participant grandement au pourrissement de la situation et à la criminalisation des comportements de nombreux acteurs subordonnés au pouvoir.. L'armée, supposée être jusqu'ici le socle inébranlable du système, est certainement entrain de perdre son immunité dans l'opération.
Une réactivation de l'indépendance de la justice et de l'exercice démocratique du contrôle politique condamneraient les appareils d'État à un minimum de transparence. Toute stratégie d'ouverture se heurte par conséquent fatalement à la nécessité de remettre en cause l'hégémonie de ces appareils. L'exemple soviétique montre que ces derniers ne s'y résolvent qu'à condition qu'ils contrôlent eux-mêmes la transition, à leur profit. Les événements de l'été 1997 et leurs suites présentes montrent que cette perspective est encore éloignée en Algérie. Le contrôle bureaucratique refuse de se laisser surprendre. La confusion entretenue autour des massacres est le résultat d'antagonismes mal contrôlés au sein du pouvoir entre différentes approches de gestion du F.I.S. Sera-t-elle dépassée la prochaine fois ? Seule la levée des lois masquées d'exception pourrait le permettre.
Radio algérienne : émoignage etvécu professionnel 1963-1995
BOUTALEB, Leïla : Radio algérienne, Alger (Algérie)
Résumé et extraits :
Je n'ai pas la prétention de vous présenter une étude académique, mais un parcours synthétique, d'une expérience professionnelle. Dans un tel cas, vous pouvez aisément le deviner, la subjectivité est inévitable, c'est aussi, une réflexion issue d'un parcours jalonné d'interdits, de suspensions, de pressions multiformes, mais achevé dans un attachement à la déontologie porté et fortifié par les retours d'écoutes auprès des auditeurs qui ont trouvé écho à leurs propres préoccupations. Étant plus rompue à l'oral qu'à l'écrit, ma démarche sera donc étayée par de nombreux exemples.
1963-1975 : Post-indépendance. Défis multiples
La Post-indépendance coïncide avec la naissance de la radiodiffusion algérienne (RTA), sigle qui englobe également la télévision nationale. Quelques techniciens algériens formés à l'ORTF prennent la relève et assurent la diffusion des nouveaux programmes.
Les premiers défis : la radio diffuse onze heures quotidiennes en langue française, dix-huit heures quotidiennes en langue arabe, onze heures quotidiennes en langue kabyle, plus deux heures en langue espagnole et anglaise. La radio assurera également des programmes politiques de la Palestine, de la ANC (Afrique du Sud) et un peu plus tard ceux des Chiliens exilés et des Sahraouis. Donc, l'Algérie, sa radio nationale vivent l'époque de la décolonisation de l'Afrique, du tiers-monde à tel point que de façon générale le discours dominant chez l'intelligentsia algérienne est au progressisme et à l'anti-impérialisme. Donc, officiellement, l'Algérie est un pays engagé dans la voie du socialisme. Pour exemple : La mère, de M. Gorki était lu tous les jours sous forme de feuilletons radiophoniques par un français, ancien porteur de valises- du réseau Jeanson, resté en Algérie jusqu'en 1970. Jean Sénac, poète algérien engagé, était écouté sur tout le territoire et Fanon représentait un repère puissant. L'histoire africaine, celle de ses leaders, le Che, Cuba, le Viet-Nam, les pays d'Amérique latine dans leur ensemble, tout cela imprégnait nos programmes et nourrissait nos idéaux.
Au plan de la culture, de l'information, nous clamions les valeurs du socialisme (justice sociale, solidarité, réformes sociales, etc.). À l'intérieur de ces grandes options, le journalisme pouvait insérer ses convictions personnelles: liberté d'expression, universalité.
La période entre 1975 et 1988
Pour la première fois, un débat libre qui a duré un mois au cours duquel les citoyens ont pu s'exprimer (référendum sur la charte nationale), la radio, monopole d'état, devait traduire les options du pouvoir , pouvoir, omniprésent aux montages, qui se faisaient sur le dos de l'opinion publique, privilégiant la problématique, conciliation de l'Islam et du Socialisme. Il y avait une ligne de démarcation non écrite, mais dont les bureaucrates avaient la haute main. Quant aux différents ministres de la culture, de l'information ou de la communication, (une terminologie qui variait sur le sens, mais qui était toujours la même sur le fond). Ils avaient pour seul titre de gloire, la fréquentation des apparatchiks du régime et la reconstitution de l'infrastructure d'une bureaucratie soumise qui plus tard après 1988, se contentera de raboter légèrement la langue de bois pour remplacer le mot socialisme par celui de liberté et offrir des images fallacieuses d'un pouvoir pluraliste.
Les mains officielles étaient plus soucieuses de mesurer la fidélité des hommes que la qualité de leur travail (il en a été de même pour l'union des artistes, des écrivains). Le pouvoir a pratiqué une politique d'autant plus préjudiciable qu'en moins de dix ans le prix des livres a été multiplié par dix réduisant le nombre de lecteurs (qui n'était pas déjà très important). La bande magnétique achetée en devises devint denrée rare à telle enseigne que les producteurs de la radio ont été acculés à réutiliser les mêmes bandes jusqu'à usure totale faisant ainsi disparaître une mémoire réelle.
La méthode la plus usitée pour assurer un discours conforme aux consignes du pouvoir, c'était le cloisonnement opéré entre l'information et la culture. Au plan de l'information, le contrôle était absolu, la langue de bois était dominante alors que dans le domaine culturel, la liberté de manoeuvre était plus large, en fonction de la pugnacité et de la subtilité des animateurs et producteurs: la culture étant considérées comme une matière non politique au premier degré. La surveillance pratiquée en amont sur l'information, était en aval sur la culture. La censure ou l'interdit répressif se manifestaient par retour de manivelle !
Au niveau de la direction de la radio, comme dans la presse écrite, c'est une vision simpliste de la réalité qui était favorisée, au détriment de la complexité de la réalité sur le terrain et des conflits qui étaient vécus par la société, de telles pratiques ont généré la violence de 1988 et renforcé l'absence de crédibilité du pouvoir.
Discours simplistes - discours triomphalistes : le journaliste devait offrir à l'auditeur une vision idéalisée, aseptisée, uniformisée la vocation pédagogique et éducative étaient exclues au détriment d'une simple transmission propagandiste. Par calcul politique, on pouvait assister à des relatives périodes de dégel, dans lesquelles s'engouffraient les journalistes épris d'expression plus libre. Pour rejoindre le thème du colloque, l'évolution fut chaotique.
La période entre 1988 et 1995
Seule la presse écrite à profité de larges espaces de liberté. La radio pour sa part continue de censure et introduit la nouvelle notion de service public. Notion qui ne revêt aucun sens sur le terrain: poser la question de l'identité algérienne, exiger la reconnaissance de la langue Berbère a toujours passé pour un crime "lèse majesté", etc.
Toutes ses questions laissées en suspend, voire évacuées au nom des urgences, ressortent tragiquement aujourd'hui. Et comme le souligne M. Gilbert Grandguillaume dans son essai "Comment a-t-on pu en arriver là ?", je cite : "Il aurait fallu que l'Algérie s'aime elle-même, qu'elle aime son histoire, ses paysages, ses traditions religieuses : il ne semble pas que de ce point de vue l'Algérie se soit aimée suffisamment. La cause en est sans doute que, à tout moment, c'est l'obsession du pouvoir, la saturation du politique qui ont empêché les mécanismes de la légitimité de se mettre en place. Faute de ce point d'appui, l'Algérie n'arrive pas à se reconnaître elle-même...".
Texte de la conférence : non disponible
La guérilla islamiste en Algérie : entre information et propagande
MARTINEZ, Luis : CERI-FNSP, Paris (France)
Résumé : non disponible
Texte de la conférence :
La Lutte pour le contrôle de l'information est partie prenante de la guerre civile. Parallèlement aux affrontements armés, les protagonistes s'efforcent de diffuser la cause de leur guerre. L'enjeu est de taille car il dépasse de très loin les troupes de supporters des protagonistes, il concerne davantage l'imposition à l'opinion internationale d'une lecture du conflit. Dans cette course médiatique, le régime a exploité habilement sa position dominante, il a su transmettre progressivement aux médias internationaux la lecture de son combat. La politique rigoureuse de délivrance de visas aux journalistes étrangers, leur difficulté une fois sur le terrain à pratiquer en toute liberté leur métier, en raison de l'insécurité, a renforcé la vision du régime auprès de l'opinion publique internationale. En 1997, pas moins de 430 journalistes étrangers séjourneront en Algérie afin de "couvrir" les massacres de villageois. Or entre 1994 et 1997, moins de dix journalistes étrangers parviennent à rentrer en contact avec la guérilla islamiste (un reporter de la BBC, un journaliste turc, un journaliste de Newsweek). Pour quelle raison celle-ci n'est-elle pas parvenue à médiatiser son combat ? Les explications sont multiples.
Les obstacles à la diffusion des médias de la guérilla
Plusieurs facteurs concourent à expliquer les difficultés que rencontre la guérilla à diffuser sa version de la guerre qu'elle mène depuis 1992. En fait, la médiatisation de ses actions et de son message ont varié en fonction du rapport de force sur le terrain. Ainsi on peut dire que l'extrême rareté des visites de journalistes étrangers à la guérilla reflète la difficulté à maintenir hors de l'autorité du régime des espaces territoriaux susceptibles de les accueillir, sans risques pour leur vie. Le fait que la guérilla ne soit pas parvenue à contrôler une ville ou une région a rendu quasiment impossible la prise directe de contact entre la presse internationale et les maquisards désireux de communiquer. Certes, des groupes armés du GIA sont parvenus à extraire du contrôle des forces de sécurité quelques communes ou villages, en particulier dans la Mitidja. Mais la grande proximité géographique des protagonistes associée à la sanguinaire guerre du GIA sous la direction de Djamel Zitouni entre 1994 et 1996 (assassinat de 140 responsables du FIS, d'étrangers, de moines et de journalistes) n'ont guère incité les journalistes étrangers à chercher à rentrer en contact.
En fait les rapports entre les islamistes algériens et la presse nationale et internationale sont depuis l'émergence du FIS empreint de nombreux malentendus nés de préjugés. Ainsi entre 1989 et 1991, les victoires électorales du FIS ont systématiquement été perçues et analysées comme un danger pour le processus de démocratisation, voire pour la stabilité de l'ordre régional. Certains responsables du FIS, à l'instar d'Ali Belhadj, ont à maintes reprises manifesté publiquement un mépris des journalistes, accusés de taire les "malheurs du peuple" au profit de l'apologie du régime. Dans un prêche d'octobre 1989, il dénonçait leur responsabilité : "Nous constatons que les autres mangent, boivent , reçoivent les Chefs d'Etat, reçoivent les ministres comme si de rien n'était ! Et les journalistes viennent, ils taisent tout cela, ils camouflent cela au peuple ! Par Dieu, la responsabilité des journalistes est grande devant Dieu". L'exaspération des responsables du FIS sera à son comble après le traitement médiatique à la suite d'un propos de Mohamed Saïd anticipant l'instauration d'un gouvernement islamiste ("le peuple doit se préparer à changer de tenue vestimentaire"). Pour les islamistes du FIS, Mohamed Saïd souhaitait responsabiliser les Algériens en leur demandant de se vêtir d'une djellaba, tenue plus économe qu'un "costume importé de France". Ses détracteurs y vont la preuve du "fascisme vert". L'interruption des élections législatives de décembre 1991 suivie de la dissolution du FIS en mars 1992 a laissé un goût amer aux électeurs du FIS face au peu de critiques de la presse internationale vis-à-vis de ce qu'ils considèrent comme un "coup d'Etat". Aussi la guérilla islamiste qui émerge en 1993 ne bénéficie pas d'un courant de sympathie dans l'opinion internationale.
L'impossible couverture médiatique de la guérilla s'est accentuée avec la législation sur l'information sécuritaire. Dès 1994, le gouvernement met en place un cadre législatif qui interdit à la presse nationale de traiter en toutes libertés de l'information relative à la violence de la guérilla et encore moins de relater leurs communiqués. Ce processus met un terme à une liberté de la presse jamais égalée de puis l'indépendance. Entre 1990 et 1994, la presse algérienne connaît une liberté de ton indéniable où s'exprime presque toutes les tendances politiques de l'Algérie. Car la dissolution du FIS en mars 1992 met un terme à la diffusion de son organe de presse el Mounkidh (Le sauveur). La presse nationale n'est pas encore soumise à l'interdiction de traiter de la violence qui se répand en Algérie. Toutefois, la guérilla regroupée, entre 1992 et 1994, autour du MIA (mouvement pour l'Etat islamique) se dote d'outils de communication afin de diffuser directement son message.
Au cours de l'année 1994, la guérilla se dote d'une radio pirate (radio-wafa) qui émet durant moins d'une demi-heure par semaine les "nouvelles du djihâd". Elle permet aux sympathisants du FIS puis du MIA de garder l'espoir d'instaurer un Etat islamique. Apparaît dans la même année une télévision pirate qui transmet une fois par semaine aussi des reportages sur la période du FIS, elle retransmet des prêches filmés d'Ali Belhadj. Les images visent à entretenir le souvenir des dirigeants emprisonnés, à transmettre l'ardeur qui se dégageait lors des grandes manifestations entre 1990 et 1991 et qui distillait un sentiment de puissance, d'invulnérabilité. Le parti dissous, les dirigeants arrêtés, la guérilla cherche à récupérer la force qui se dégageait du parti. Elle tente ainsi de devenir le pôle de la contestation. Alors que l'armée considérait que la dissolution du FIS puis l'arrestation de ses cadres (15 à 20 000 militants sont arrêtés et incarcérés dans des camps du Sahara) mettraient un terme définitif au FIS, la guérilla réactive la force du parti à travers une radio et une télévision pirates.
Toutefois l'incapacité du MIA à renverser le régime frustre les attentes de l'électorat du FIS. Les plus jeunes transfèrent leur désir sur les émirs du GIA (Groupement islamique armé) qui à la fin de l'année 1994 constituent le nouveau pôle de la résistance armée. Le mode de communication par excellence du GIA d'Abdelhak Layada jusqu'à Djafar el Afghani (1993-1994) est le placardage dans les mosquées de tracts et de communiqués. Les émirs locaux (chefs de petites bandes armées de villages ou de quartiers) utiliseront ce seul procédé. Ecrits dans un arabe parlé, compris de tous, les communiqués placardés sont sans équivoques sur l'authenticité des auteurs. Contrairement à la prolifération des communiqués publiés à l'étranger dans divers organes de presse de la mouvance islamiste (el Ansar) ou dans des journaux arabophones (el Hayat, Shark le Awsat), attribués au GIA de Djamel Zitouni (1994-1996). Nous verrons que la guerre des communiqués est partie prenante de la guerre civile.
La création de l'Armée islamique du salut en juillet 1994 va considérablement accroître la masse d'informations en provenance des maquis. Le message politique de la guérilla se peaufine. L'émergence de l'AIS correspond paradoxalement avec la montée en puissance du GIA de Djamel Zitouni. Ce dernier devient la star incontestée de la presse internationale, il fait la une de nombreuses revues et ses communiqués sont automatiquement qualifiés d'authentiques. Alors qu'en Algérie Djamel Zitouni apparaît pour les électeurs du FIS comme un émir obscur, responsable de la rupture du pacte scellé entre divers responsable du FIS et de la guérilla (1), il devient l'émir le plus médiatisé. Il devient surtout de par les actes qui sont attribués à la guérilla islamiste du GIA (assassinats de civils, d'étrangers, de journalistes, attentats à Paris etc...) Celui qui discrédite le combat du bras armé du FIS, l'AIS. Les lois sur l'information sécuritaire et l'impossible relation directe avec la guérilla vont permettre, grâce au GIA de Djamel Zitouni, de marginaliser entièrement le message du FIS et de l'AIS, du moins jusqu'à la trêve entrée en vigueur en octobre 1997.
De l'information à la propagande
En 1995 la presse nationale est encouragée à brosser des portraits au vitriol d'émirs. L'armée l'incite à stigmatiser la violence du GIA et à taire la violence politique de l'AIS. Entre 1994 et 1996, seules les actions du GIA dirigées par Djamel Zitouni ont droit à un traitement médiatique. En fait l'armée parvient à diffuser une image de la guérilla islamiste représentée par le GIA et incarnée par son "émir". Ainsi seront seules commentées, au niveau international, les informations sur cette faction de la guérilla. L'objectif est manifeste, il s'agit pour les stratèges de la guerre psychologique de déshumaniser les combattants de la guérilla, de démontrer que le GIA est tout puissant et le couple FIS-AIS est le principal responsable de cette dérive meurtrière. Au cours de l'année 1995, la télévision algérienne entreprend la diffusion de témoignages de repentis ou de prisonniers échappés de maquis. Une intense campagne médiatique est orchestrée afin de souligner la barbarie des combattants islamistes. L'imam Ali Ayah, retenu deux mois par un groupe armé, déclare après sa libération : "A la place de la pseudo-fraternité des frères en armes... j'ai vécu l'horreur. Ce sont des monstres qui n'ont rien à voir avec l'Islam. Ce sont des diables; les flammes de l'enfer sortent de leurs yeux. Inhumains, brutes, ils se refusent à toute discussion basée sur la logique" (2). Afin de discréditer entièrement la guérilla, les compagnies de l'Armée islamique du Salut sont associées aux groupes armés du GIA. Aucune distinction n'est faite quant à leur divergence idéologique et à leur tactique de guerre.
Pourtant l'AIS ne cesse à travers ses communiqués de dénoncer l'amalgame. En avril 1995, elle édite un recueil de lettres intitulé "Mots de vérité", ce document vise à transmettre de façon claire le message politique du couple AIS-FIS. La condamnation du GIA est explicite : " Ils (les combattants du GIA) répandent aussi que le peuple est idolâtre et quelque fois Tâghout. Ils ne cessent de lui comptabiliser les péchés simples et les petites erreurs qu'on peut corriger d'une bonne parole, de la sagesse, de la prédication et du bon exemple. Ce peuple qui s'est soumis depuis des siècles, qui a prouvé son allégeance (...). Après tout ça, il est ignoble de vouloir traiter ce peuple de Tâghout, pourtant c'est ce que certains "moudjahidin" ont réservé à ce peuple qui leur a donné confiance et allégeance" (Lettres aux moudjahidin). En 1997, à la suite des massacres de villageois revendiqués par le GIA, la Ligue islamique pour la Daawa et le Djihâd dirigée par l'émir Ali Ben Hadjar n'hésitera plus à accuser cette faction d'être manipulée : "Nous appelons, les jeunes qui sont toujours dans le GIA à se repentir devant leur Seigneur et à mettre fin à leur égarement, car les carnages qu'ils perpètrent contre le peuple ne s'apparentent en rien à l'Islam, ce sont des actes des services de renseignement, et des suppôts kharidjites qui assassinent les croyants" (communiqué de naissance de la LIDD).
Deux supports vont permettre à la guérilla islamiste de contourner l'embargo sur les informations sécuritaires : les organisations qui se créent au sein de la diaspora algérienne en exil et internet. Les exilés algériens (en particulier d'obédience islamiste) ne vont avoir de cesse d'établir des contre-informations afin de lutter contre le monopole gouvernemental en matière d'information sur la situation en Algérie. Ils vont permettre à la presse internationale d'accéder directement grâce à des sites sur Internet à une partie de la littérature des opposants islamistes (Hijra international, Fraternité algérienne de France, IEFE... ). Ainsi la chronique des "Nouvelles du djihâd" démentira l'impression du rétablissement de la sécurité en Algérie. De même, afin de visualiser les combattants islamistes, de nombreuses cassettes vidéo seront envoyées à des chaînes de télévision. Elles combleront le déficit en image de ce conflit d'au-moins 100 000 victimes.
La guerre des communiqués
Le contournement par les opposants islamistes de l'embargo en matière d'information sécuritaire ne signifie pas que leur message politique se diffuse sans obstacle. Le passage à la clandestinité des groupes armés pose le problème de l'authenticité des communiqués qui leur sont attribués. La difficulté est d'autant plus grande lorsqu'une faction de possède pas de représentants politiques. Ainsi, l'ensemble de la littérature attribuée à l'AIS peut-être authentifié grâce à l'approbation des dirigeants politiques de l'Instance Exécutive du FIS à l'Etranger (IEFE) dirigée par Rabah Kébir. Mais dans le cas du GIA, comment authentifier ses communiqués ? Les tracts placardés par des "émirs" locaux qui se revendiquent du GIA ne posent pas de problème compte tenu de la réelle connaissance de ces derniers par la population qui peut juger de la fiabilité de l'information. Par contre, quel crédit accorder à des communiqués qui paraissent dans des organes de propagande islamiste à l'étranger à l'instar d'el Ansar dirigé par un Frère musulman syrien installé à Londres ?
Sans pouvoir entièrement y répondre on peut dire que ces supports étrangers sont propices à la diffusion de vrais-faux communiqués. La diffusion de faux communiqués par les services algériens semble partie prenante de la guerre civile. Dans une récente enquête le journal Le Monde concluait qu'une partie de la littérature du GIA pouvait avoir pour auteur non pas un "émir" d'Alger bien incapable d'écrire en arabe classique. La diffusion de faux communiqués dans la presse islamiste internationale spécialisée dans le djihâd permet d'accréditer la thèse d'un complot de l'internationale islamiste. En publiant des communiqués attribués au GIA dans des organes de propagande comme le Djihâd (édité à Peschawar) ou el Ansar (Londres), la thèse de l'internationale islamiste prend de la consistance. Elle peut amener des spécialistes de l'internationale islamiste à travailler à restituer le sens, non pas des groupes armés islamistes, mais des services de sécurité probables auteurs de cette littérature. L'historien Robert Ageron avait déjà révélé comment la guerre d'Algérie (1954-1962) était aussi une guerre de vrais-faux communiqués entre l'armée française et les nationalistes algériens.
Ainsi le contournement par la guérilla islamiste de l'embargo en matière d'informations sécuritaires ne signifie pas que son message est exempt d'ambiguïté. L'impossible authentification des communiqués du GIA par exemple obscurcit la lecture du conflit algérien, empêche toute identification explicite des protagonistes et par là-même la part respective de leur responsabilité. Néanmoins la question de l'authentification des communiqués revêt une importance cruciale, en particulier au niveau de l'opinion internationale. En effet la guerre des communiqués est sans enjeux en Algérie car la plupart ne paraissent qu'à l'étranger. Ainsi il va sans dire que la revendication des attentats sanglants à Paris par le GIA a provoqué un ressentiment de l'opinion publique française vis-à-vis des islamistes algériens. De même l'assassinat de sept marins italiens dans le port de Jijel en 1994 attribué au GIA a hérissé l'opinion publique italienne contre les islamistes en général. Aussi pour les islamistes du FIS, il ne fait aucun doute que ces communiqués visent à discréditer leur cause et à pointer la responsabilité de ces meurtres sur la guérilla. On voit donc que la fonction des vrais-faux communiqués est de discréditer l'un des protagonistes. A la suite des massacres de villageois au cours de l'année 1997 attribués aux islamistes du GIA, des émirs de l'AIS se sont empressés d'envoyer des cassettes vidéo à des grandes chaînes de télévision étrangère dans lesquelles on peut voir les familles de victimes prises en charge par les maquisards islamistes. Par ce procédé l'AIS entend démontrer à l'opinion internationale qu'elle n'est en rien responsable de ces massacres.
En conclusion on peut dire que les obstacles à la diffusion des médias de la guérilla sont multiples. L'incapacité du message de la guérilla à circuler est directement liée au rapport de forces sur le terrain. Contrairement à maintes guérillas dans le monde, la guérilla islamiste algérienne n'est pas parvenue à sanctuariser durablement des espaces territoriaux susceptibles de se transformer en lieux d'accueil pour des observateurs et des journalistes étrangers. Sa défaite médiatique n'est que le pendant de sa relative défaite militaire. Contraintes d'accepter une trêve unilatérale, certaines factions de la guérilla (AIS et LIDD) sont bien incapables d'endiguer la lecture politique et médiatique de la guerre qu'imposent les vainqueurs.
Notes :
(1) Le 13 mai 1994, le GIA dirigé par l'émir Chérif Gousmi diffuse le communiqué de l'union et du djihâd. Il était signé par le Cheikh Rajjam au nom du FIS et par le Cheikh S. Makhloufi au nom du MEI.
(2) La Nation, janvier 1996.
Bibliographie :
- Ageron, Charles-Robert (dir), La guerre d'Algérie et les Algériens, 1954-1962, éd. : Armand Colin, Paris, 1997, 341 p.
- Dujardin, Camille Lacoste, Opération Oiseau bleu, éd. : La Découverte, Paris, 1997, 307 p.
- Martinez; Luis, La guerre civile en Algérie, éd. : Karthala (coll. CERI), Paris, 1998, 420 p.
Résolution des conflits : le cas algérien
BELLEAU, Marcel : Chaire Raoul Dandurand - UQAM, Montréal (Canada).
Résumé :
Il existe une approche théorique largement acceptée par les spécialistes qui propose une série de facteurs susceptibles de conduire à un règlement pacifique des conflits. Même si le conflit interne en Algérie est insupportable et s'éternise, la plupart des facteurs susceptibles d'influencer positivement la résolution du conflit ne sont pas actuellement présents et il y a peu de chance que la paix civile revienne à brève échéance. Un seul espoir : la volonté du peuple algérien et sa foi en une véritable démocratie.
Texte de la conférence : non disponible