

Groupe d'Etudes Politiques sur l'Afrique du Nord Contomporaine
Colloque de Durban
Le colloque de Rabat, intitulé : Le choc des civilisations : remise en question d'une hypothèse, a donné lieu à des échanges et des réflexions ayant abouti à la publication d'un ouvrage collectif qui a été lancé au 19ème Congrès mondial de l'Association international de science politique, à Durban, du 29 juin au 4 juillet 2003.
Durant cet événement, le GEPANC a tenu trois activités principales :
Une table-ronde présentant la synthèse des travaux du Colloque de Rabat du 14 au 16 juin 2001;
Une table ronde pour développer l'hypothèse "Fatiha Talahite-Khaznadar", développée par Fatiha Talahite (CNRES-Paris, France) et Sélim S. Khaznadar (Université de Constantine, Algérie) lors du Colloque de Rabat-2001 ;
Une table-ronde présentant les conclusions des 17 auteurs ayant participé à l'ouvrage collectif : "Et puis vint le 11 septembre... Remise en question de l'hypothèse du choc des civilisations", sous la direction de El-Mostafa Chadli et Lise Garon, éd. : Presses de l'Université Laval, Québec, Juin 2003.
Pour plus d'informations sur le programme de ces activités, cliquez ici..
Toute l'information sur le 19ème Congrès mondial de l'AISP (arrangements de voyages, programme, propositions de communication, bourses, etc.) est maintenant disponible aux adresses suivantes :
http://www.ipsa.ca/congress/congress/congress.asp
SYNTHÈSE DES RÉFLEXIONS
par Selma El Maâdani
Le GEPANC, en collaboration avec l'Université Mohammed V de Rabat-Agdal (Maroc), l'Université Laval de Québec (Canada) et la Fondation Friedrich Nauman (Allemagne), a organisé un colloque international, les 14,15 et 16 juin au siège de la Maghreb Agence Presse (MAP) à Rabat, sur le thème : "Le choc des civilisations. Hypothèses, transformations géopolitiques et alternatives".
La thèse du "choc des civilisations", préconisée par Samuel Huntington, fut l'objet des interventions, discussions et commentaires des participants et ce, à travers l'étude des transformations de la scène publique, de l'enjeu politico-culturel et des scènes médiatiques. La dernière journée fut particulièrement consacrée aux propositions d'hypothèses alternatives à celle de Huntington.
EXAMEN DE L'HYPOTHÈSE DE SAMUEL HUNTINGTON
CONFRONTATIONS ET MISE EN PERSPECTIVE
Lors de la première séance, une lecture sémiotique de l'ouvrage de S. Huntington fut proposée par E. M. Chadli, professeur à la Faculté des lettres de Rabat. Son approche a permis de lever le voile sur le système de valeurs qui fonde la thèse du "clash des civilisations", thèse qui propose une vision réductrice mettant de l'avant une dichotomie, "Monde civilisé" versus "Monde de barbarie", sur la base de laquelle Huntington établit une typologie des civilisations qui est bien loin de traduire la réalité complexe de notre monde. E. M. Chadli explique que, d'une part, l'hypothèse défendue par S. Huntington repose sur une "argumentation judicieusement avancée", notamment la réfutation de la thèse d'une civilisation universelle, la puissance et le déclin de l'Occident, la résurgence de cultures régionales, le retour des intégrismes, la donne économique et son corollaire la démographie; et d'autre part, son étude est cimentée, comme en témoignent "les paradigmes cognitifs dominants dans l'ouvrage, par des références incessantes non seulement à l'histoire, la sociologie, l'éthnologie, l'anthropologie, la science politique et la diplomatie (…), mais également, sur le plan théorique, aux travaux de M. Weber, E. Durkheim, M. Mauss, L. Frobenius (…) Des auteurs contemporains sont aussi cités : F. Fukuyama, R. Debray, F. Mernissi, A. Soljenitsyne, Mahdi El Manjra dont il faut signaler le rôle précurseur…"(sic).
A. Bennis, professeur à la Faculté de droit, Rabat-Agdal, ne cache pas son indignation à l'égard à la fois de cette thèse qui propose une vision manichéenne susceptible de séduire l'instinct de lecteurs nourrissant le préjugé des "sarrasins violents", et de son auteur qui est opposé à l'interaction des cultures et assigne chacun à résidence dans son ethnie et dans sa culture. En cela, "le discours de Huntington n'est pas trop éloigné de celui de Ben Laden" (sic).
Pour A. Hidas, professeur à l'Ecole des sciences de l'information à Rabat, nous assistons à une sorte d'anachronisme avec cette guerre contre le mal, galvanisée par les médias ; cela rappelle les guerres saintes. La morale laïque, la morale de démocratisation ainsi que la morale des Droits de l'Homme ont été très souvent instrumentalisées par le passé. À présent, après le 11 septembre, la morale de la "lutte contre le terrorisme" prend la relève. Hidas préfère parler de "dialogue de cultures" qui aboutirait à un "nouveau traité de Westphalie" à l'échelle mondiale, traité fondé, selon lui, sur le respect à la fois des valeurs des siècles des Lumières et des valeurs spirituelles des pays du Sud.
Fatiha Talahite, chercheur au CNRS à Paris et S. Khaznadar, de l'Université de Constantine en Algérie, se demandent ce qu'est l'occident.
Pour Talahite, il n'y a pas de conflit de civilisations. L'occident assimile les autres et les reconstitue artificiellement. Il faudrait plutôt parler d'inégalités des richesses qui engendrent un conflit matériel et identitaire au sein même de cet occident. Les enjeux politiques et économiques qui ont mis en place un ordre normatif mondial excluent la survie des autres communautés ; et c'est ce qui explique, selon elle, la violence et le radicalisme.
Tout en précisant que ce n'est pas le christianisme qui a fondé l'occident, mais bien la découverte de Galilée : "c'est une civilisation fondée sur un projet de savoir" (sic), S. Khaznadar estime qu'on devrait tendre vers un dialogue occident / non-occident en faisant renaître Dàr Al Hikma qui a permis non seulement de traduire la philosophie grecque, mais d'établir également une ouverture sur l'Autre." (sic).
A. Moutadayenne, de l'Université Laval de Québec, rappelle que la thèse de Huntington a connu une large réfutation à l'échelle mondiale et que la guerre du Golf ainsi que les événements du 11 septembre infirment cette thèse. Il propose plutôt la thèse d'un "choc politique", dû aux attitudes politiques partiales, qu'il argumente à la lumière d'une analyse systémique du discours de Ben Laden.
Rentrons-nous ou non dans le cadre de la thèse de S. Huntington ? Se demande Simon Shen, de l'Université d'Oxford au Royaume Uni. Le bombardement de l'ambassade de Chine à Belgrade en 1999 dissimule le choc entre la Chine et les USA. Ce bombardement a déclenché la mobilisation des masses : le nationalisme est apparu comme une nouvelle croyance étatique à la place du communisme dans le passé. " Nous tous contre l'ennemi extérieur " est une façon d'éloigner l'opinion publique des véritables problèmes économiques ; c'est une instrumentalisation des valeurs par les gouvernants.
Pour Hassan Bakr Hassan de l'Université d'Assiout en Égypte, ce sont plutôt l'analphabétisme, le sous-développement, l'hégémonie de la pax americana qui constituent les prémisses de notre "criticisme". La suite des événements du 11 septembre pose problème aux étudiants dans le domaine de la paix en particulier, ce qui réfute la thèse de Huntington.
Quant à M. Berdouzi, professeur à la Faculté de Droit de Rabat-Agdal, il propose de revisiter l'ouvrage de S. Huntington. Il s'agit, selon lui, d'un ouvrage de doctrine politique qui établit une sélection idéologique en remplaçant la géopolitique par la 'géo-religion' : le monde est y divisé en huit blocs. De plus, une globalisation de ghettos politiques y est établie. M. Berdouzi conclut que Huntington se comporte comme un "intégriste" qui prône le retour aux sources, à la spécificité de "la civilisation occidentale unique et incomparable" et qui s'oppose, par la même occasion, à la démocratisation des autres pays.
À travers une approche descriptive et exploratoire du cas tunisien après le 11 septembre, T. Moalla de l'Université Laval illustre comment la référence aux Droits de l'Homme, si elle n'est pas tout simplement exclue, est sournoisement marginalisée par la "lutte contre le terrorisme" et utiliser de façon à légitimer la chasse aux opposants. Enchaînant sur cette question, Lise Garon, professeur à l'Université Laval, ajoute que ce retournement de l'agenda de certains régimes, devenu sécuritaire, redore leur blason et renforce leur image et leur légitimité à l'étranger. Résultat : on n'écoute plus les opposants exilés même s'ils ne cessent d'appeler à la non-violence et récusent la compétence de Ben Laden de parler au nom de la Oumma. Certains régimes taxent tous les opposants, communistes, islamistes ou autres, de terroristes. Ce type de discours devient recevable, voire souvent crédible : ces régimes sont à présent considérés comme de précieux remparts contre le terrorisme.
Une dernière anti-thèse à la thèse de Huntington a été présentée à la fin des travaux de la première journée de ce colloque par Hassan-Yari Houchang, du Collège militaire Royal de Kingston (Canada) qui, selon lui, le contexte actuel de "guerre contre le terrorisme" renforce la puissance militaire américaine et approfondit le fossé entre la technologie militaire américaine et les autres technologies militaires (Europe, Russie, Chine,…) ; il est en train de renforce aussi la répression des mouvements démocratiques et d'intensifier, par la même occasion, les mouvements radicaux tout en excluant les modérés, comme c'est le cas au Proche-Orient. Et, enfin, il étend les disparités économiques.
TRANSFORMATIONS DE LA SCÈNE PUBLIQUE
ENJEU POLITICO-CULTUREL
Wolfgang Sachsenröder de la Fondation Friedrich Nauman ouvre la première séance de la seconde journée du colloque en ces termes : "Devrait-on parler de clash des civilisations ou de coopération entre civilisations ?"
L'intervenant, après avoir rappelé les dossiers 'explosifs', à savoir : la problématique de l'émigration-assimilation et la montée de l'extrême droite, la montée du terrorisme et du 'racial profiling' qui détruisent toute forme de dialogue, le retour en force des régimes autoritaires, la gérontocratie dans les régimes arabes, les systèmes d'éducation inadéquats en comparaison de l'important potentiel humain et intellectuel des pays du tiers monde, évoque la célèbre devise de Nauman : " il n'y a pas de démocratie sans démocrates " pour souligner que l'unique issue demeure l'action des intellectuels qui ont la responsabilité politique d'instaurer le dialogue, de comprendre et de faire comprendre. Pour W. Sachsenröder, l'Ouest a beaucoup étudié l'Est avec grand intérêt, mais l'inverse s'est fait très timidement, et c'est cela la raison de l'échec des rapports.
Noureddine Afaya de la Faculté des lettres de Rabat-Agdal se demande, à la suite de ce premier discours d'ouverture, jusqu'à quel point le dialogue peut-il gérer les problèmes économiques du Sud ainsi que le fossé entre le Nord et le Sud, le mur d'incompréhension et les profonds changements socioculturels. Peut-il y avoir dialogue ou échange interculturel ? La reconnaissance se situe au carrefour symbolique du désir, du pouvoir et du langage : " nous sommes obligés de reconnaître l'interculturalité, la présence de l 'Autre en nous " sic. Il ne peut y avoir qu'un dialogue entre personnes de cultures différentes mais on ne peut parler de dialogue de cultures, selon Afaya. Et pour cela, il propose d'instaurer une culture du dialogue.
À propos de dialogue, Abdelmoughit Trédano-Benmassaoud de la faculté de Droit de Rabat-Souissi se demande si les civilisations qui, par essence, sont porteuses de valeurs hégémoniques, peuvent entamer un dialogue. Il ne peut y avoir de dialogue, précise-t-il, qu'entre les cultures et les religions, de par le caractère diffus et pluriel des premières et les valeurs fondamentales partagées entre les secondes, cependant, ce qui risque de freiner cet élan, c'est, d'une part, la politique de deux poids/ deux mesures pratiquée au Moyen Orient par exemple, et d'autre part, le fait qu'on n'ait jamais exigé des pays du Golf, cette immense réserve pétrolière, d'instaurer une démocratie.
Concernant la question de civisme et de connaissance de l'Autre évoquée par le représentant de la Fondation de F. Nauman, Sylvain Nadeau de l'Université Laval de Québec, nous montre, à travers une analyse de la position des autorités religieuses du Québec après les évènements du 11 septembre, que ces sphères ont compris que leur société a aussi besoin de leçons de civisme. Les autorités et les acteurs sociaux se sont alors attelés à atténuer les écarts subis par la communauté musulmane par le recours à l'inter-normativité proposée par Guy Rocher.
Abderrahim El Omari de la Faculté des lettres de Béni Mellal, tout en attirant l'attention sur la confusion : arabes musulmans et intégristes, explique que, d'un côté, la mouvance islamiste radicale est une réaction à l'égocentrisme occidental, et d'un autre côté, l'Islam a été instrumentalisé : l'internationale islamiste a été utilisée pour contrecarrer les mouvements communistes et progressistes. Il rappelle que l'islamisme n'est pas un simple discours, mais des bases dont les grandes victimes se trouvent surtout dans les pays musulmans.
LES SCÈNES MÉDIATIQUES
Pour ce qui est du rôle des médias dans le remaniement du forum public, Larbi Chouikha, professeur à l'Institut supérieur de journalisme de Tunis, établit un constat à propos de la réception des événements du 11 septembre à travers les médias et l'impact des nouvelles télévisions arabes. Les téléspectateurs arabes manifestent une désaffection à l'égard de leurs télévisions nationales, se distancient des télévisions occidentales qui ne répondent pas à certaines de leurs attentes, et ne regardent que les chaînes telles que Al Jazîra ou Al Manàr, même si ces chaînes évitent délibérément toute critique des régimes saoudien et qatari ; ce manque d'objectivité ne les a pourtant pas décrédibilisées. C'est une façon pour les téléspectateurs d'exprimer leur contestation et de rompre avec le message monolithique des chaînes nationales. Quant à la distanciation vis-à-vis des chaînes occidentales, ce n'est nullement le signe d'un choc, c'est plutôt une sorte de désir d'affirmation de spécificité et la recherche d'une éthique qu'ils ne trouvent pas dans les médias occidentaux. S'il y a distanciation lors de la diffusion des informations sur le Moyen-Orient ou l'Afghanistan, il y a par ailleurs "désir de connaître l'Autre", lors par exemple des élections présidentielles en France ou de la diffusion des "Guignols de l'info" sur Canal +.
Au niveau de la production du discours médiatique, Richard Godin de l'Université de Moncton (Canada), grâce à l'analyse anthropologique et sémiotique de contenus d'échantillons de bulletins de nouvelles, a montré comment, lors de la couverture journalistique des évènements du 11 septembre, la chaîne canadienne française d'information continue (RDI) a édifié le mythe d'un Ben Laden "bouc émissaire" à partir non seulement d'une construction manichéenne opposant "Péril islamique" et "Civilisation occidentale", mais par le biais également de tout un rituel médiatique et une trame narrative que les téléspectateurs reçoivent religieusement. "Cet aspect liturgique, conclut-il, qui met l'accent sur les évènements sans faire référence, ni à ce qui les précède, ni à ce qui va suivre, permet de légitimer la parole officielle qui allègue la thèse du choc de deux civilisations".
Dans la même perspective, Francesco Cavatorta de Trinity College à Dublin en Irlande a mis en évidence l'effet "prophétie alarmiste" à travers un examen des tabloïdes britanniques et irlandais où l'on remarque un retour en force sur la scène médiatique irlandaise du message simpliste de S. Huntington : "nous et le reste du monde" qui passe vite pour les masses et même pour les élites. De la même façon; "le musulman est violent" devient un lieu commun. La thèse du "choc des civilisations" a été citée de différentes manières dans The Guardian par exemple : confirmée par certains, critiquée par les uns, nuancée par d'autres… Pour Cavatorta, le fait que cette thèse soit véhiculée, même en filigrane, par les médias et les cercles officiels prouve bien que Huntington a gagné.
La dernière réflexion présentée lors des travaux du dernier jour du colloque portait essentiellement sur "la construction des figures médiatiques comme moyen de manipulation très sophistiqué ayant pour visée de déclencher le parcours pathémique de la peur chez l'énonciataire". Christiane Kègle et Christiane Clough de l'Université Laval proposent, à cet effet, deux approches de la passion de la peur dans la presse écrite québécoise à travers une analyse des figures du récit médiatique. C. Kègle montre, à la lumière d'une lecture sémiotique des diverses affiches du journal montréalais Le Devoir, qu'il y a une "figurativisation" de la peur : "il s'agit de faire peur tout en protégeant de l'angoisse par le biais d'une narrativité déstabilisante", précise-t-elle. Par ailleurs, les diverses illustrations de ce quotidien (caricatures, affiches, articles,…), qui prétendent endiguer cette charge émotionnelle, ont eu pour effet d'intensifier les émotions. Les images, les couleurs et les formes se transforment en un système signifiant, un discours figuratif chargé de sens connotatif, et agissent sur l'appareil neuro-sensoriel de l'énonciataire afin de faire en sorte que le devoir se substitue au mécanisme de la défense. À titre d'exemple, la figure de la poudre blanche de l'anthrax, à l'instar des terroristes d'Al-Qaïda, utilisée comme métaphore pour faire valoir la thèse du choc des civilisations, ne pouvait mieux exploiter le potentiel délirant collectif soumis à des tensions extrêmes. Même, le choix des images n'est jamais anodin et est toujours signifiant, ajoute C. Clough dans son approche psychanalytique des mêmes figures du récit de la presse. Il trahit, selon elle, les obsessions de l'énonciateur. Et, pour mieux expliquer ces propos, elle rappelle l'exemple de cette métaphore usée de l'iceberg qu'on retrouve dans une caricature sur le trafic illicite du matériel nucléaire : cette métaphore permet, selon elle, de bien focaliser sur la réalité inquiétante de ce trafic tout en omettant délibérément de la nommer.
HYPOTHESE ALTERNATIVE
À l'issue de ce colloque, Marguerite Rollinde de l'Institut du Maghreb-Europe à Paris propose les Droits de l'Homme comme hypothèse alternative à celle de S. Huntington. Citant quelques exemples, notamment le massacre de Jénine en Palestine et les attentats du 11 septembre à New york, elle rappelle que c'est toujours la même démarche qui revient inlassablement. C'est dans la tradition de la religion qu'il faut chercher les racines de la violence : chercher dans la Thora la justification du massacre de Jénine ; Ben Laden se sent investi d'une puissance sacrée alors que pour l'occident, il est le diable posant un acte sacrilège. Ces exemples montrent que la violence est à chaque fois légitimée ; les uns et les autres prennent des positions radicales : d'un côté, les attentats du 11 septembre ont eu comme conséquence une certaine panique en Occident ayant facilité, par exemple, au FN d'obtenir un score élevé lors des dernières élections présidentielles françaises, et la montée, ailleurs en Europe, de certains groupes fascistes préconisant la torture des islamistes. De l'autre côté, la réaction des américains a provoqué la colère des jeunes de Casablanca qui scandaient : "Nous sommes tous des Ben Laden !" (voir, à ce titre, Amin Maalouf, Identités meurtrières, éd. : Grasset & Fasquelle, Paris, 1998. 211 p.)
Rollinde conclut que l'on doit tout d'abord combattre l'impunité et le terrorisme d'État quel qu'il soit et écouter les familles des victimes des violences partout dans le monde, tant à Jénine, qu'à Manhattan et ailleurs : "Reconnaître, pour citer intégralement ses propos, dans l'Autre sa part d'humanité, c'est là l'universalité".
COMMENTAIRES ET DISCUSSIONS
Concernant l'ouvrage de S. Huntington, en dehors du représentant de la Fondation Friederich Nauman qui ne rejette pas la thèse de l'auteur en déclarant que si on ne comprend pas le choc des civilisations, on risque un choc militaire comme cela a été le cas dans le conflit franco-allemand; et à l'exception des réflexions nuancées de F. Cavatorta qui précise que c'est une œuvre qui traduit une vision politique; de E.-M. Chadli qui rappelle que Huntington était politologue et conseiller du président J. Carter, de R.Godin qui ajoute que cet auteur se positionne en stratège au service de son pays, la plupart des intervenants réfutent la thèse du choc des civilisations : F. Talahite trouve l'ouvrage trop caricatural pour mériter une critique ; Bennis souligne que Huntington est aussi un fin idéologue qui a occulté la dimension économique et focalisé sur l'axiologique pour mieux camoufler les flagrantes disparités économiques, sa visée étant le maintien des inégalités. En écho à ces divers commentaires, C. Kègle qui dit avoir vécu deux chocs récemment, celui du 11 septembre et la vision de la pauvreté au Maroc, rappelle que Huntington ne fait que présenter sa vision à partir de son idiosyncrasie, les États Unis étant une sorte de melting pot, superpuissance économique reposant sur l'assimilation.
La question " Quid l'occident ? " soulevée par Talahite et Khaznadar a aussi suscité beaucoup de réactions : Lise Garon estime que les notions d'occident et d'Islam ont trop souvent été prises dans un aspect totalisant. Berdouzi considère que la réalité est beaucoup plus complexe : l'occident est à la fois lumière, tolérance et fascisme, c'est aussi l'héritage des grecs, des arabes et des extrêmes orientaux. " C'est l'œuvre de nous tous " (sic). Pour tenter d'expliquer l'origine des amalgames et des généralisations hâtives, A. Boukili de la Faculté des lettres de Kénitra (Maroc) pose le problème de l'inexistence de centres de recherche dans nos pays ayant pour objectif la connaissance de l'Autre, ainsi que l'absence d'une anthropologie du discours religieux. Dans la même optique, Berdouzi reprend qu'on devrait cesser de lancer des généralisations infondées sur l'attitude des États Unis avec les régimes dictatoriaux avant ou après le 11 septembre. " Avant tout, nous devrions entamer une autocritique de nos pulsions totalitaires." (sic). À ce titre, Hassan-Yari Houchang nous invite à réfléchir sur une réalité que nous ne pouvons pas nier : d'un côté, les musulmans, s'entre tuent au nom du même Dieu, et d'un autre côté, la Ligue Arabe existe bien avant l'Union Européenne.
Pour ce qui est de la question des Droits de l'Homme, F. Talahite ne manque pas de rappeler qu'il y a là une imposture et qu'on assiste à un conflit entre deux notions de droit. T. Moalla demande, à ce sujet, au responsable de la Fondation F. Nauman comment certains organismes internationaux parviennent à établir un équilibre entre des rapports avec les régimes totalitaires et la question des droits de l'Homme. Il ajoute que le libre échange comme modèle économique ne peut pas régler les problèmes du tiers monde. L. Garon rappelle à S. Nadeau, à propos de la position des autorités québécoises, qu'on devrait tempérer l'optimisme qui semble se dégager à travers ce concept d'inter-normativité car il existe malgré ces positions sages une xénophobie qui ne facilite pas toujours l'assimilation des immigrés.
Dans la thématique des Droits de l'Homme notamment, l'une des questions débattues fut la suivante : Est-il vrai que l'intégrisme soit une réaction à l'oppression des régimes de l'occident ? Pour A. Trédano, l'injustice est l'une des causes de l'intégrisme : la déclaration de Balfour qui contredit les principes de la Société Des Nations en est un exemple. El Omari objecte que les Talibans ont été instrumentalisés par la CIA pour contrecarrer le communisme. Cependant, si Berdouzi concède que l'intégrisme peut profiter de la crise économique, puiser dans le chômage et l'ignorance, il réplique que sa source est socio-historique, il n'est pas né à la suite de la domination occidentale, il n'y a qu'à étudier l'Histoire des mouvements intégristes juifs, chrétiens, musulmans et autres. Le wahhabisme offre un exemple très éloquent.
En conclusion, M. Rollinde insiste sur le fait que l'on ne peut parler des Droits de la femme par exemple, ni des Droits de l'enfant en dehors d'un projet de société, et pour ce faire, " l'éducation demeure l'enjeu essentiel " (sic).
Un climat de discernement, d'intelligence et de sincérité a particulièrement marqué les interventions et les débats de ce colloque; une remarque toutefois mérite d'être soulignée : on n'a que très peu abordé la question des disparités économiques Nord/ Sud et même au sein d'un même pays, ces disparités, qui font qu'une bonne partie de l'humanité meurt actuellement de faim et de diverses épidémies, constituent un véritable frein au dialogue : ventre affamé n'a pas d'oreilles ! Un projet de société qui n'a pas pour objectif premier de combattre ces flagrantes disparités serait encore une 'imposture' pour reprendre l'expression d'une intervenante.
ET PUIS VINT LE 11 SEPTEMBRE...REMISE EN QUESTION DE L'HYPOTHÈSE
DU CHOC DES CIVILISATIONS
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AVANT-PROPOS par El-Mostafa Chadli et Lise Garon
INTRODUCTION
Hypothèse boiteuse, effet de mise en scène ou fatalité ? par El-Mostafa Chadli et par Lise Garon
PARTIE 1 : LA VALEUR SCIENTIFIQUE DE L'HYPOTHÈSE
1. L'hypothèse du choc des civilisations. Entre imaginaire, représentations et système de valeurs, par El-Mostafa Chadli
2. Les théories moralistes en relations internationales. Problèmes épistémologiques, par Ahmed Hidass
3. Dialogue ou choc des civilisations ? Remise en question du libéralisme néo-institutionnel, par Hassan Bakr Hassan.
PARTIE 2 : L'IMPACT DE LA CRISE DU 11 SEPTEMBRE SUR LA SCÈNE MÉDIATIQUE
1. Publics et opinions arabes au miroir du "Choc des civilisations". Le cas tunisien, par Larbi Chouikha.
2. Édification d'un mythe par une chaîne de télévision publique. Le cas de la couverture journalistique du 11 septembre 2001 par la Société Radio-Canada, par Richard Godin.
3. Raconter la peur, occulter le réel. Analyse de l'effet 11-septembre sur une société occidentale à partir de la presse écrite. Le cas du quotidien Le Devoir, par Christiane Kègle et Christianne Clough.
4. Le choc et " la civilisation " : politique, populace et légitimité internationale, par Francesco Cavatorta, Shiera el Malik et Nalini Persram.
PARTIE 3 : LES ACTEURS DERRIÈRE LA SCÈNE
1. Des chocs rhétoriques aux chocs réels. Le camouflage sino-américain du choc des civilisations lors du bombardement de l'ambassade de Belgrade en 1999, par Simon Shen
2. Diplomatie publique et effet boomerang. Le cas tunisien, par Lise Garon et Taïeb Moalla
3. L'internormativité au cœur des mesures régulatrices. le cas de la société québécoise après le 11 septembre 2001, par Sylvain Nadeau
PARTIE 4 : HYPOTHÈSES ALTERNATIVES
1. Qu'est-ce que l'Occident ? Une hypothèse pessimiste, par Ismael-Sélim Khaznadar et Fatiha Talahite
2. L'Occident. Science et Technoscience. Sept variations, par Ismael-Sélim Khaznadar
3. Occident et Islam. Qu'est-ce qui se joue aujourd'hui, dans le droit et l'économie ? par Fatiha Talahite
4. Contre les barbaries, la lutte pour le droit et la justice. La contre-hypothèse optimiste, par Marguerite Rollinde
CONCLUSION :
1. Choc des civilisations, de l'ignorance ou des intérêts, par Ahmed Hidass
2. Vers un rapprochement durable ? par Richard Godin
ANNEXE :
Choc ou dialogue ? par Wolfgang Sachsenroëder
Programme du Congrès
XIXe CONGRÈS MONDIAL DE SCIENCE POLITIQUE
CHOC DES CIVILISATIONS ? A CIVILISATION CLASH ?
Le panel du GEPANC
Tenu sous les auspices de L'UNESCO
Durban (Afrique du Sud)
29 Juin au 4 Juillet 2003
Table ronde/Roundtable 1 : "Et puis vint le 11 septembre"
2/7/2003 à 13h30, Salle 22F, ICC Durban
- Président : Richard Godin, Université de Moncton - Nouveau Brunzwick (Canada)
- Présentateurs :
"Problèmes épistémologiques de l'hypothèse", El Mostafa Chadli, Université Mohamed V - Rabat (Maroc).
"Les acteurs derrière la scène : 3 études de cas", Lise Garon, Université Laval - Québec (Canada).
"La mise en scène médiatique du choc des civilisations : 4 études de cas", Larbi Chouikha, Université de la Manouba - Tunis (Tunisie).
- Commentateurs : Yves Schemeil, Université de Grenoble (France) et Houchang Hasssan-Yari, Collège militaire royal du Canada - Kingston (Canada).
- Document de support : Et puis vint le 11 septembre... Remise en question de l'hypothèse du choc des civilisations, El Mostafa Chadli et Lise Garon (éd.), Presses de l'Université Laval, Québec, mai 2003.
Table ronde/Roundtable 2 : "Qu'est-ce que l'Occident ?"
3/7/2003 à 8h30, Salle 12C, ICC Durban
- Président : Houchang Hasssan-Yari, Collège militaire royal du Canada
- Présentateurs :
"Qu'est-ce que l'Occident ?", Sélim S. Khaznadar, Université de Constantine (Algérie)
"Les enjeux de la mondialisation du droit", Fatiha Talahite, CNRS - Paris (France), Ahmed Hidass, Institut des sciences de l'information - Rabat (Maroc).
- Commentateurs : Larbi Chouikha, Université de la Manouba, Tunis (Tunisie)
- Document de support : Et puis vint le 11 septembre... L'hypothèse du choc des civilisations remise en question, El Mostafa Chadli et Lise Garon (éd.), Presses de l'Université Laval, Québec, mai 2003.
Table ronde/Roundtable 3 : "And then... Along came September 11th"
3/7/2003 à 10h30, Salle 12C, ICC Durban
- President : Hassan Bakr Hassan, University of Assiout (Egypt).
- Papers givers :
"New Evidence following September 11", Ahmed Hidass, Institut des sciences de l'information - Rabat (Maroc).
"Setting the media stage for the clash of civilisations : 4 case studies", Richard Godin, Université de Moncton - New Brunzwick (Canada).
"The flaws of Huntington's hypothesis", Hassan Bakr Hassan, University of Assiout (Egypt)
"Actors regulating consensus behind the scenes", Simon Shen, Oxford University (United Kigdom)
- Discussants : Lise Garon, Université Laval, Québec (Canada) and Houchang Hassan-Yari, The Royal Military College of Canada - Kingston (Canada).
- Document of support : And then... Along came September 11th. Challenging the Hypothesis of the Clash of Civilisations, El Mostafa Chadli and Lise Garon (Ed.), CD-rom Version, Edition : Préambule Communication, Quebec, May 2003.
3/7/2003 p.m - Assemblée générale triennale du GEPANC